Page:Roy - Le secret de l'amulette, 1926.djvu/8

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frère aîné commandait actuellement au fort Michilimakinac, et lui-même n’attendait que l’occasion de servir le roi.

De la Vérendrie et de Noyelles avaient fait quelques pas ensemble dans la rue Saint-Paul, en descendant vers la rue Saint-Charles, lorsque Pierre prenant la parole, demanda à son ami :

— Eh bien ! t’es-tu amusé, Joseph ? As-tu aimé cette fête ?

— Oui, mon cher, je me suis beaucoup amusé.

— Mais tu n’as pas dansé, du tout !

— J’ai eu plus de plaisir à regarder danser que si j’eusse dansé moi-même.

— Dis, Joseph, reprit Pierre d’un ton railleur, n’aurais-tu pas aimé être disciple de Terpsychore, ce soir, et faire le pas de danse avec Mlle Marie-Amable de Montigny, par exemple ?

— Certainement, répondit Joseph, en riant, surtout si je possédais la jolie figure de Pierre de Noyelles.

— Tu n’aurais pas besoin de cela, mon cher, pour avoir l’air d’un danseur gracieux… surtout si dans l’opinion de cette gentille personne que je viens de nommer…

— Si je pouvais croire que Mlle de Montigny admirerait autant mon savoir faire dans le menuet, que Mlle de la Périère à ton égard, je te demanderais de diriger mes pas incertains vers cet art si désirable.

— Tu n’as pas besoin de cela pour intéresser Mlle de Montigny. À un certain moment, ce soir, je me trouvais près d’elle, et, par quelques mots venus jusqu’à moi, j’ai compris qu’elle éprouvait un sentiment… comment dirais-je ?… sympathique ? pour toi et tes prouesses de là-bas, dans l’ouest.

— Te l’avouerai-je, mon cher Pierre, je trouve que Mlle de Montigny était la plus belle de la fête.

— De cela, je n’en doute pas, dit de Noyelles, en riant ; il n’y avait qu’à te regarder lorsque tes yeux étaient tournés vers elle, pour être convaincu de ce fait.

— Mes yeux m’ont-ils trahi autant que cela ?… Tu badines !… Ah ! tu te ris de moi, Pierre !…

— Ton admiration n’était pas aussi marquée, je l’avoue, mais j’ai bien vu, moi, que tu cédais aux charmes de cette jeune personne.

— Oh ! toi, tu es si perspicace !… Mais dis, beau chevalier si clairvoyant, ne trouves-tu pas que ses yeux sont les plus beaux du monde ?

À l’accent de Joseph, il était facile de comprendre qu’il s’exprimait avec sincérité.

Pierre éclata de rire.

— Peste ! dit-il, comme tu y vas, mon cher Joseph !… Es-tu pris aussi bien que cela ?

Puis, sa malice habituelle le saisissant de nouveau, il ajouta :

— Tu trouves ses yeux jolis… mais ils sont bleus !… et tu sais… les yeux couleur d’azur, de pervenche… ou comme tu voudras… cela ne vaudra jamais l’œil noir qui étincelle, qui pétille de malice…

— Comme ceux de cette sémillante fillette, n’est-ce pas ?… Mlle de la Périère ?…

Et ce fut à son tour de rire, car son ami un peu déconcerté par ce trait inattendu, eut un moment de silence.

À railleur, railleur et demi.

Mais il se remit aussitôt, et revint à la charge.

— Voyons, Joseph, disait-il, tu n’oseras pas soutenir que les yeux bleus l’emportent sur les noirs ?

— Pourquoi non ? car, à mon avis les yeux bleus sont préférables aux noirs. Ils empruntent à l’azur des cieux leur couleur tendre, et dans leur regard franc on peut toujours lire la douceur et la bonté, tandis que les yeux noirs sont remplis d’artifice, et dans leur malice ne disent pas ce qu’il faut dire.

— En garde, beau ténébreux, et pare ce coup-ci !… Tu dis que les yeux bleus reflètent la nuance de la voûte céleste, et qu’ils sont francs ; mais ils ne sont pas toujours si sereins, et souvent il leur arrive de voiler leur franchise derrière un nuage trompeur. D’ailleurs, il ne faut pas trop se fier à un ciel serein. Un court espace de temps suffit souvent pour le changer et le mettre entièrement à la tempête. Et alors, gare !… Mais les noirs ! oh ! les noirs !… leur colère n’est qu’un grain de courte durée… si, par hasard leur humeur persistait jusqu’à l’orage, je trouve moi, que mouillés de pleurs, leur regard est plus séduisant ; il est impossible alors de ne pas se rendre et de ne pas prodiguer nos plus douces et nos plus consolantes paroles.

— Fi donc !… les yeux noirs sont trop, ou coquets et malicieux, ou méchants et impérieux. C’est comme un bois aux sombres profondeurs : celui qui s’y risque ne sait jamais comment il en sortira, soit avec bonheur ou malheur. Mais les yeux bleus, c’est ce coin du ciel, cette note gaie dans la na-