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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

« Votre vie, ici, est horriblement triste ! ne le trouvez-vous pas ? demanda-t-il à voix basse. — « Oh ! non », répondit-elle avec élan, relevant la tête.

« Dans ses beaux yeux noirs et sur toute sa physionomie, il y avait, en ce moment, ce rayonnement que projette l’extrême bonheur, et Lambert Closse resta troublé et pensif.

« Il jeta un coup d’œil dans la salle longue, étroite, où les grands lits des malades se détachaient dans le clair obscur, et se sentit en face d’une énigme.

« Son regard, habitué à scruter les choses et les hommes, semblait vouloir pénétrer jusqu’au plus profond de l’âme de la touchante enfant, agenouillée près de lui sur la pierre du foyer.

« Et vous, commandant, demanda Mlle Moyen, s’enhardissant tout à coup, vous qui prenez sur vous tant de fatigues, tant de périls, ne trouvez-vous pas votre vie bien terrible ?

— Moi, mademoiselle, c’est bien différent : j’ai l’excitation du danger, puis j’ai choisi cette vie, et je n’ai plus seize ans, ajouta-t-il, riant. Quand on avance sur le chemin, la vie n’apparaît plus guère que comme un devoir, et l’on marche facilement au sacrifice.

« Mlle Moyen pencha la tête sans rien dire. Ses longs cheveux soigneusement nattés pendaient sur son dos, et l’une des lourdes tresses, glissant sur la jupe noire, roula sur le foyer.

« Le major se pencha et avança la main ; mais, comme si une crainte l’eût saisi, il ne releva pas ces beaux cheveux d’or qui traînaient dans la cendre ; et prenant ses gants de loutre noire, il appela son chien et se leva pour partir.

« Que la Vierge vous garde ! dit Elisabeth avec ferveur. Son regard, son accent, firent tressaillir le major.