Raymond, frappé au cœur, balbutie, demande pourquoi
Juana a mis entre eux cette barrière infranchissable.
Elle l’interrompt : « Raymond, vous jouez avec les mots.
Je suis mariée, c’est vrai, mais comment pouvez-vous me
le reprocher ? N’êtes-vous pas marié vous-même ? » —
Et ici se déclare le malentendu qui les faisait toujours se
mal comprendre. Juana, fillette amoureuse de Raymond
à Ottawa, avait alors appris que le jeune homme était
fiancé. Elle n’avait jamais rien su de ce qui avait suivi
les fiançailles malheureuses ; et le rencontrant dans la
prairie, tant d’années après, elle le croyait marié…
Une dernière scène où les larmes se mêlent aux explications
trop tardives. Et Juana se lève : « Raymond, ne
pensez plus à moi. Il faut m’oublier. Nous avons passé
au côté du bonheur, tous les deux… » Et elle monte
en selle, et disparaît, emportée par son coursier.
Et le lecteur, mis en présence de cet inutile amour, se demande bien un peu pourquoi ne fut pas plus tôt provoqué l’inévitable explication. Mais l’auteur a su envelopper de tant de discrétion, de tant de réserves à la fois convenables et inquiètes, les conversations de la prairie, qu’il a réussi à faire vraisemblable cette invraisemblance. Une extrême pudeur, qui n’ose violer les âmes, avait tenu closes sur le sujet, des lèvres qu’une curiosité moins délicate aurait brutalement ouvertes.
D’autre part, le lecteur songe à Lucienne, la grande fille des Lebeau, la sensible et forte paysanne, qui aima Raymond, que Raymond n’osa pas aimer à cause de l’autre, et qui refoula dans son cœur avec une héroïque fermeté la belle flamme dont aurait pu brûler sa vie.
Mais il était écrit que ce roman ne finirait pas comme les autres… Et il n’est pas mauvais, après tout, que l’on en rencontre qui finissent autrement.
Autrement encore que dans bien d’autres romans où la matière n’est pas assez fondue, ni assez homogène, on