Raymond Chatel, qui fut douze ans journaliste à Montréal et à Ottawa, s’en va soigner ses poumons dans l’air sec et tonifiant de la Saskatchewan centrale. Il y est reçu chez les Lebeau, où il partage la vie de famille. Vie besogneuse, solitaire, dans une ferme isolée, sans voisins, sans relations sociales ; vie toute concentrée dans la maison pauvre du fermier, ou dépensée au grand air dans les travaux de la prairie. Souvent Raymond, pour se distraire, enfourche un cheval de la ferme et chasse à travers la plaine, au bord des étangs et des lacs. Un jour, fatigué de la course, il s’endort dans l’ombre chiche d’un bouquet de trembles et de peupliers. À son réveil, il aperçoit, penchée vers lui, une jeune fille, Juana, la petite fée de la prairie. Elle le croyait blessé ou malade. Après quelques paroles échangées, brèves et tout à coup énigmatiques sur les lèvres de Juana, la jeune fille part au galop de son coursier et disparaît dans la poussière de la route…
Juana avait reconnu en Raymond le jeune homme qui autrefois, quand elle était fillette, fréquentait à Ottawa la maison de son père ; elle s’était alors éprise, toute naïve, du jeune mondain qui ne le sut jamais. Curieuse rencontre de ces deux âmes, aujourd’hui, dans la prairie déserte où toutes deux souffraient de la solitude. Mais Juana avait emporté au galop de son cayuse bai son troublant secret.
Ils se revirent souvent. Un amour profond, et de part et d’autre avoué, les fit se rechercher dans cette immense prairie où les ramenaient de rapides chevauchées. Mais dans le regard de Juana, il y avait toujours au moment des intimes confidences, l’ombre d’un inviolable mystère. Raymond le découvrit un jour, trop tard, quand la jeune fille après une longue absence à Régina, tout un hiver, lui annonça : « Je viens vous dire adieu pour toujours, Raymond, je suis mariée depuis un mois… et je pars… »