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Page:Roy - Romanciers de chez nous, 1935.djvu/90

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JEAN RIVARD

sa maison. Louise Routier[1] est le type parfait de la jeune fille, élevée loin des villes, en pleine nature, en pleine vie rurale. Elle a grandi au soleil qui faisait s’épanouir les fleurs du jardin familial, et elle n’a jamais respiré que le parfum des saines vertus domestiques. Elle aime fortement, mais discrètement : Gérin-Lajoie ajoute, et beaucoup de lecteurs avec lui : elle aime « comme sait aimer la femme canadienne. »[2]

Et c’est pour cela que les amours de Jean Rivard et de Louise furent les moins mouvementées qui se puissent concevoir. Gérin-Lajoie s’est abstenu de nous distraire de son sujet par des épisodes romanesques qui eussent ôté à son livre toute vraisemblance. La passion y est calme, maîtresse d’elle-même, quelquefois inquiète, jamais affolée. Il y a même beaucoup de timidité dans les aveux de ces jeunes gens, et l’on songe, à les entendre, à certains amoureux des comédies de Marivaux, que la seule conscience de leur passion fait déjà rougir. Le cœur de Louise se déclare, s’ouvre tout entier, et il se laisse pleinement connaître dans cette phrase que la jeune fille écrivit un jour à Jean Rivard, anxieux de savoir si un jeune galant toujours endimanché, de Grandpré, ne l’avait pas supplanté : « Si je vous semble légère quelquefois, je ne le suis pas au point de préférer celui qui a de jolies mains blanches, parce qu’elles sont oisives, à celui dont le teint est bruni par le soleil parce qu’il ne redoute pas le travail. Je regarde au cœur et à la tête avant de regarder aux mains. »[3] Réponse toute simple, inspirée par l’amour le plus raisonnable, et qui valut à Louise, au mois d’avril suivant, un délicieux cœur de sucre !

  1. Louise Routier doit son nom à une famille Routier que Gérin-Lajoie connut pendant son séjour à Montréal, de 1846 à 1849. M. Routier avait quatre grandes filles, de grande distinction. L’aînée, dit-on, fit une vive impression sur notre auteur. Trop pauvre pour songer à se marier, Gérin-Lajoie crut devoir s’éloigner. Il garda de cette famille le plus affectueux souvenir.
  2. Jean Rivard, I, 195.
  3. Jean Rivard, I, 158.