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Page:Roy - Romanciers de chez nous, 1935.djvu/95

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ROMANCIERS DE CHEZ NOUS

élévation de pensée qu’on trouve dans les anciens auteurs ; à force de vouloir dire du nouveau, les écrivains du jour nous jettent dans l’absurde, le faux, le fantastique. »[1] On ne peut être assurément plus classique ; on ne peut l’être plus absolument, et plus exclusivement. Et sans demander compte à Gérin-Lajoie de ses généralisations imprudentes, et sans nous informer de ce qu’il entend par la « morale pure » des anciens, nous retenons qu’il est un disciple du dix-septième siècle, qu’il voudrait écrire comme on écrivait au temps de Pascal, et qu’il fait peu état des couleurs, des hardiesses et des nouveautés de la langue du dix-neuvième siècle.

Et pourtant, il aurait pu sans doute, et sans dommage pour son livre, emprunter davantage à nos modernes les ressources de leur style ; il aurait pu apprendre d’eux l’art de tisser de façon plus souple la trame du roman, et il aurait pu emprunter quelquefois à leurs palettes des couleurs qui eussent atténué, varié, les tons gris, uniformes, qui se répandent sur la toile de certains chapitres.

Au surplus, Gérin-Lajoie a lu les meilleurs écrivains du dix-neuvième siècle, et, par exemple, Chateaubriand et Lamartine ; leurs noms se retrouvent sous sa plume,[2] et, bien plus, il a parfois essayé d’imiter leur art de peindre la nature. Voyez cette description du matin à Rivardville :

« Quelle délicieuse fraîcheur ! Mes poumons semblaient se gonfler d’aise. Bientôt le soleil se leva dans toute sa splendeur, et j’eus un coup d’œil magnifique. Un nuage d’encens s’élevait de la terre et se mêlait aux rayons du soleil levant. L’atmosphère était calme, on entendait le bruit du moulin et les coups de hache et de marteau des travailleurs qui retentissaient au loin. Les oiseaux faisaient entendre leur ravissant ramage sous le feuillage des arbres. À leurs chants se mêlaient le

  1. Jean Rivard, I, 95. II, 28.
  2. Jean Rivard, II, 165-166.