est devenu vénal. Il parle, il peint, il chante quand il lui est avantageux de se faire entendre ; le moindre bruissement de danger réduit au silence et fait rentrer sous terre toutes ces gazelles plus poltronnes que véritablement prudentes.
Je rappellerai à ce sujet une belle pensée que j’ai ramassée de la bouche d’un orateur aimé dans cette ville. Je veux parler de M. Bridel : « La force du caractère, disait-il, est ce qui constitue véritablement le grand homme. » Il s’agissait de Wilberforce, qui en effet n’eut guères de science que ce qu’il lui en fallait pour accomplir sa noble tâche de libérateur des esclaves ; et cependant, Wilberforce fut bien un grand homme, un plus grand homme que Hegel, un plus grand homme que Kant, dont les doctrines philosophiques ne feront pas faire un pas à l’humanité. Un seul acte de force et de persévérance de volonté vaut cent fois plus à mes yeux que le plus beau des livres. Oui, la droiture du vouloir, le courage de cœur et la sincérité d’esprit, voilà ce qui fait toute la valeur de l’être personnel, voilà ce qui constitue toute sa moralité. L’intelligence est un don, en faire un juste usage est un devoir ; mais l’œuvre de justice accomplie par la liberté est le bien propre de l’être libre, son mérite, son œuvre, au poids de laquelle seulement on le doit peser. L’intelligence divine elle-même apparaîtrait à mes yeux, s’il était possible qu’elle fût dépourvue de moralité, c’est-à-dire de l’amour du bien et de la volonté de le réaliser, loin de l’adorer, de la servir, je me révolterais contre elle.