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Page:Royer - Introduction à la philosophie des femmes.pdf/17

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philosophe et femme de sciences

contraire étudier l’une de ses branches en détail, même la moins importante, il nous faudrait quarante années peut-être, et encore ni vous ni moi n’aurions-nous jamais achevé.

Il est donc indispensable d’avoir dans l’esprit, comme forme générale du savoir, une de ces synthèses complètes et rapides dont l’harmonieuse unité n’abandonne plus la raison qui s’en est une fois saisie. C’est une sorte d’image lumineuse du monde qui marche ensuite devant elle pour l’éclairer comme un flambeau, comme un soleil intellectuel et moral qui lui montre sans cesse le chemin le plus direct du lieu où elle vient au lieu où elle va. Pour se reposer de cette vive clarté, quelque fois trop fatigante, pour se distraire de cette vaste scène de contemplation qui s’appelle l’univers, on peut ensuite adopter une ou deux sciences de détail, un art et une science, une spécialité enfin que l’on choisit par goût ou par utilité, mais toujours avec discernement selon ses aptitudes particulières, et que l’on cultive ensuite avec amour et émulation, comme l’occupation principale de sa vie. Mais s’adonner à quelque talent, à quelque étude spéciale sans posséder en soi le tableau de l’ensemble de la science, c’est d’abord s’exposer à mal choisir celui de ses nombreux rameaux que l’on est le plus apte à cultiver ; c’est, de plus, se condamner à ne jamais regarder la nature et la vie qu’à travers une lunette infidèle qui en change les proportions et les couleurs, grandit ou diminue les premières, et confond les secondes dans une désespérante uniformité.

Tel est le danger des spécialités trop absolues chez lesquelles une étude suffisante des généralités ne maintient pas le jugement dans un équilibre convenable. Elles sont fatalement entraînées à s’absorber dans les petites choses, dans les détails fatiguants d’une érudition toute encombrée d’un bagage de dates, de noms, de faits inutiles, qui, classés et mis à leur place dans l’histoire de l’univers, dans l’infini de l’espace et du temps, ressemblent à autant d’atomes de sable dans la construction d’une pyramide. Il est encore un autre écueil, c’est de ne voir en tout et partout que la science que l’on ne possède plus, parce qu’elle vous possède. Tel est le chimiste exclusif, qui du milieu de ses fourneaux et de ses cornues, veut expliquer toute chose par l’attraction, la cohésion et l’affinité ; tel est le physicien qui ne voit plus partout que polarité, électricité et magnétisme ; tel enfin le mathématicien, comme Pythagore, qui veut construire le