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Page:Royer - Introduction à la philosophie des femmes.pdf/8

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Clémence Royer

femme ne sait rien garder pour elle ; ce qu’elle sait, elle le dit ; ce qu’elle croit, elle le fait ; ce qu’elle a, elle le donne. Les idées premières que les mères inculqueront à leur jeune famille, au moins seront des idées justes que l’éducation n’aura plus à rectifier, mais seulement à développer ; qu’elles s’emparent de la science enfin, ne serait-ce que pour en polir la langue, pour en effacer les aspérités, en diminuer les angles, pour la marquer surtout de l’empreinte harmonieuse d’esprits croyants naïfs et satisfaits, de la grâce sereine de la vertu heureuse ou résignée et surtout de cette jeunesse de cœur qu’elles seules conservent toute la vie.

Elles hâteront ainsi l'hymen si désirable de la littérature et de la science, de la poésie et de la raison ; hymen qui semble si éloigné qu’un poète en quelque sorte ne peut plus être savant, ni un savant, poète ; hymen bien nécessaire pourtant, car c’est par lui seulement que s’accomplira celui des temps et des idées, que s’effacera cette déplorable scission du passé et de l’avenir, de la pensée et du sentiment, du beau et du bien, du juste et de l’utile aujourd’hui en guerre ouverte.

Tous les esprits, dans notre époque, sont atteints de fatigue, d’ennui, de doute moral : les hommes surtout, parce que le doute saisit l’esprit avant le cœur. Chacun cherche un mieux dans le vrai et dans le bien, le poursuit sous toutes les formes, dans toutes les routes de l’existence et s’agite sans le trouver. Les femmes s’étonnent un peu de ce malaise dont elles ignorent les causes, de cette attente vaine d’un je ne sais quoi qui ne vient pas. Elles en souffrent sans savoir pourquoi, en sont saisies sans se l’avouer ; elles sentent le vide autour d’elles, et ne savent de quoi le remplir ou le remplissent trop souvent d’idées erronées, de préoccupations frivoles ou plus ou moins fantastiques. Toutes les affections sont émoussées, toutes les croyances ébranlées. On se défie des autres parce qu’on n’a plus qu’à peine confiance en soi-même. Mais si les femmes sont frappées, comme les hommes, de cette épidémie, celles surtout qui savent l’être, ne pourraient-elles être admises à en chercher le remède ? On ne trouve point étrange que des femmes, voire même des femmes qui font des pèlerinages, prennent part aux chasses royales. On ne juge point que leur sensibilité doive être blessée de poursuivre la biche qui tremble, le cerf aux abois qui pleure devant la meute. Pourquoi donc, bien plus encore,