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40 HISTOIRE DE LA POMME DE TERRE

1822, M. Caldcleugh et M. Cruckshands virent le S. tuberosum à l’état sauvage au Chili ; Meyer de même, et enfin Claude Gay.

» Il paraît donc démontré que le S. tuberosum n’existe spontané ni au Pérou, ni dans la Nouvelle-Grenade, sur le simple témoignage de Humboldt qui ne l’y a pas rencontré.

» J’ai été plus heureux. J’ai trouvé le S. tuberosum authentique et spontané, loin de toute habitation, dans ces conditions qui ne trompent guère un naturaliste, et sur trois points différents.

» La première fois, c’était au sommet du Quindio (Colombie), près du volcan de Tolima, à 3 500 mètres supra-marins et par 4° 34′ latitude nord. La plante formait de petites touffes dans l’humus végétal de la forêt, presque sous bois, parmi les arbres rabougris de cette région alpine. Ses longs rameaux étaient à moitié enterrés et blancs, et à leur extrémité les tubercules (ou plutôt les rameaux souterrains renflés) étaient de la dimension d’une petite noix allongée, féculents, légèrement amers. Les fleurs étaient blanches, à peine lilacées, plus petites que dans nos variétés cultivées ; mais j’attribuai leur exiguïté et leur décoloration à l’appauvrissement de la plante sous un climat aussi rigoureux, c’est-à-dire à 1 000 mètres seulement au-dessous des neiges éternelles du Tolima.

» La seconde fois, c’était dans le Cauca, dans les boquerones ou taillis qui avoisinent le bourg de La Union, par 1° 33′ de latitude nord, c’est-à-dire fort près de l’équateur. L’altitude, cette fois, était bien différente, et ne dépassait pas 1 900 mètres. Aussi, la plante se développait dans toute sa beauté, parmi des taillis de Siphocampylus, Sciadocalyx, Ageratum, Alonzoa, Rubus, Lamourouxia, d’une végétation florissante et couverts de fleurs. C’était en mai de l’année 1876. Les tiges du S. tuberosum que je recueillis se dressaient en se soutenant sur les arbustes voisins ; leur feuillage était vigoureux et de superbes ombelles de grandes fleurs violet foncé les accompagnaient. Près des villages de cette région, la plante cultivée ne présentait pas du tout cet aspect, mais formait des touffes courtes et rameuses comme dans les champs d’Europe. D’ailleurs, les pieds spontanés étaient nombreux, épars, loin de tout passage des hommes qui auraient pu les semer par hasard, et ils donnaient bien l’aspect d’une plante « chez elle », comme elle a été semée par la nature.