Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1781, tome 1.djvu/415

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sont imprégnées : c’est donc une perte réelle.

Ceux qui les jettent sur leur terrain, sur leurs champs aussitôt qu’ils les retirent du rivage, ne font pas mieux. C’est donner à la terre trop de sel à la fois, & ce sel ne trouve pas dans son sein assez de substances animales ou alcalines pour se combiner avec elles & former une substance savonneuse.

Les algues restent plusieurs années enfouies sous terre sans se décomposer, sans être réduites en terreau ; & elles tiennent la terre soulevée de manière que les influences de l’air la pénètrent plus profondément, ce qui est un grand bien. Mais ne vaudroit-il pas mieux, & j’en ai l’expérience, faire un lit de demi-pied de hauteur de ces algues encore imbibées & pénétrées par l’eau de mer, les saupoudrer assez fortement avec de la chaux réduite en poudre ou éteinte naturellement à l’air, recouvrir ce lit de deux pouces de terre mêlée avec un peu de chaux, & recommencer ainsi lit par lit jusqu’à ce qu’on eût formé un monceau de six à huit pieds de largeur sur cinq ou six de longueur, terminé en pointe ? Le monceau fini, il convient de le bien battre tout autour, afin de former, pour ainsi dire, une croûte impénétrable à l’eau : il s’établira dans le centre du monceau une chaleur assez forte ; les sels travailleront, s’uniront ensemble & avec la terre, & enfin, un an après on aura un engrais excellent pour tous les genres de culture quelconque. L’algue, il est vrai, ne sera pas encore détruite ; mais elle sera susceptible de l’être bien plus promptement lorsqu’on l’enfouira dans la terre : sa trop grande abondance de sel marin s’opposoit auparavant à sa destruction. Il n’en coûtera donc que l’avance & l’attente d’une année. Sans l’union de la chaux avec les algues & la terre, il est inutile de faire les monceaux dont on parle ; ce seroit travailler en pure perte.

M. Dupuy d’Emportes, auteur du Gentilhomme Cultivateur, s’exprime ainsi. « Il est des pays où les cultivateurs, par une avidité mal entendue, mettent l’algue en tas, & la couvrent pour accélérer sa putréfaction, avant de la répandre sur le sol. Il est bien vrai que par cette méthode, on donne au sol une vie étonnante ; mais aussi on risque de l’épuiser, & l’on s’expose au versement des plantes, qui, recevant trop de nourriture, poussent leurs tiges à une hauteur qui les met hors d’état de résister aux impulsions des ouragans & au poids des grandes pluies. Sans supposer ces accidens, il est certain que la première année emporte tous les profits, puisqu’il est vrai que la seconde & la troisième année, les terres n’y rendent que des récoltes très-médiocres. Nous conseillons donc au cultivateur de répandre son algue sans aucune préparation, dès qu’il l’a tirée de la mer : par ce moyen, il jouira de trois abondantes récoltes. »

M. d’Emportes me permettra de lui représenter que l’algue mise simplement en tas sans addition de quelqu’autre substance, il faudra plusieurs années pour la réduire en terreau. Dans l’état de terreau,