Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1782, tome 2.djvu/247

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fanes qui ne sont pas encore pourries, défendent la jeune herbe lorsqu’elle commence à pousser ; ses pointes, encore délicates & sensibles, sont pour ainsi dire recouvertes d’un manteau qui les met à l’abri des vents froids du printems. Il sera prouvé au mot Commune, que les bœufs & les vaches les plus maigres de tout le royaume, sont ceux qui s’y nourrissent ; & on fera voir quel parti on doit tirer de ce terrain.

On sent bien qu’il n’est pas question ici des bœufs que l’on élève pour vendre, ou qu’on nourrit pour les bouchers, lorsqu’on a la facilité de les envoyer paître sur les hautes montagnes, du royaume ; telles sont les Alpes de la Provence, du Dauphiné, les Monts-Jura, le Mont-Pilat, les montagnes d’Auvergne, du Vivarais, du Languedoc, les Pyrénées, &c. où elles paissent l’herbe fine délicate, & rendue odoriférante par le meum. Il est tout naturel de profiter de ces avantages, & il faudroit une trop grande quantité de fourrage pendant l’année, pour nourrir l’immensité des bêtes à cornes, qui couvrent ces monts sourcilleux : cependant il y a quelques inconvéniens ; en voici la preuve.

Si on veut multiplier le bétail, & sur-tout éviter la dégénération des espèces, il est impossible que dans le pâturage commun, il ne se trouve pas de jeunes & de vieilles bêtes de races différentes & peu assorties ; c’est l’ordinaire. Il arrive souvent que des genisses se trouvent pleines à quinze mois, & même plutôt ; & comme alors elles ont à peine la moitié de leur taille, leur état épuise bientôt les forces qu’elles ont à cet âge ; la mère reste petite & maigre, elle donne du lait à proportion ; le veau tiendra de sa mère, & ne fera jamais qu’une bête chétive & de mauvaise race. Voilà une des principales causes du dépérissement des belles races en France.

Si au contraire les genisses ne sont saillies qu’à deux ans & demi ; si on leur donne une nourriture convenable, & en proportion suffisante, on est assuré d’avoir une bête de belle race, & de remonter & perfectionner ainsi l’espèce. Combien de fois n’a-t-on pas vu les vaches perdre leurs veaux sur les pâturages, soit en se battant, en sautant, & de mille manières.

Veut-on avoir des bêtes grasses ? rien ne contribue plus efficacement & plus promptement à les mettre en cet état, qu’en leur donnant leur nourriture fréquemment par petites portions, & surtout avec exactitude, à des heures réglées. Soignées de cette façon, elles s’engraissent à vue d’œil ; ce qui n’arrive pas sur des pâturages, même en automne, saison qu’on choisit ordinairement pour faire prendre de la graisse au bétail. Dans l’été, la chose est impossible, C’est aussi la raison pour laquelle les vaches ne donnent pas autant de lait sur le pâturage, quand même elles auroient de l’herbe jusqu’aux genoux, qu’elles en donneroient dans une étable où elles seroient nourries avec attention.

Ce que l’on vient de dire ne tient point à un systême enfanté par une imagination plus brillante ; il porte sur des faits & sur des