Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/357

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On demandera peut-être pourquoi les normands ont substitué le cidre au vin ? L’abaissement des abris qui nettoient les vignes à couvert du vent du nord, & qui facilitoient la maturité du raisin, en est la première cause, & la plus déterminante. (Voyez la description du bassin de la Seine, au mot Agriculture.) Le climat n’étant plus propre à la vigne, il a fallu recourir à une autre boisson. La seconde est peut-être l’amour de la nouveauté, & le besoin de suppléer, par une liqueur agréable, au vin, dont la qualité dégénéroit de jour en jour.

On sait que, dans le quatorzième siècle, les rois de Navarre, de la branche d’Évreux, avoient de très-grandes possessions dans la Haute & dans la Basse-Normandie. Il y avoit alors des correspondances & des relations fréquentes entre les navarrois & les normands.

On sait encore que dans la Navarre espagnole, & dans la province de Pampelune, on y cultive, de temps immémorial, le pommier à cidre, & qu’il y est appelé cidra, ainsi que la liqueur qu’on obtient.

L’analogie du mot françois & du mot espagnol, de même que les liaisons établies autrefois, ont sans doute engagé les normands à transporter d’Espagne, des pommiers ou des greffes, & à naturaliser cet arbre dans leur province ; avec cette différence cependant, que les pommiers de Navarre n’ont pas besoin d’être greffés pour donner du bon cidre, tandis que ceux de Normandie, non greffés, donnent un cidre détestable. Ce fait seul prouve que c’est de cette-partie espagnole que les normands ont tiré le pommier à cidre, qui est exotique à leur province, & indigène à cette partie d’Espagne. Enfin, dans plusieurs cantons de Normandie, le pommier à cidre porte le nom de biscait, ce qui désigne complètement qu’il en a été tiré.

Olivier de Serre, un de nos plus anciens & meilleurs écrivains, dans son Théâtre d’Agriculture, dit : l’invention du sidre a premièrement paru en Corstentin, partie basse, de la Normandie, ainsi qu’on le recognoist par plusieurs titres antiques de divers seigneurs de fief, dont tes terres ont été baillées aux habitans, sous les charges, entre autres, de cueillir les pommes & faire des sidres.

C’est de Normandie que la fabrication de cette liqueur a passé en Bretagne, & aujourd’hui elle commence à prendre faveur en Picardie, où il faut espérer que dans peu elle fera disparoître l’usage de la bière.

M. Turgot, pendant qu’il étoit Intendant de Limoges, fit venir beaucoup de pieds de Normandie, ainsi que des greffes de ces arbres. Après les avoir multipliés dans les pépinières, ils furent distribués aux habitans du Haut-Limosin, avec une instruction imprimée, sur la manière de les cultiver & d’en préparer le cidre.

Il seroit bien à désirer que, dans toutes les provinces privées de vin, ou à un prix trop haut pour le commun des habitans, les seigneurs de paroisses y introduisissent cette culture, & qu’ils en consignassent, dans les papiers publics, les époques, afin de suivre les progrès ou la filiation de ce genre de culture.

M. le Marquis de Chambray, dans l’Art de faire le bon Cidre, avance que ce pommier a été porté d’Afrique en