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conduire ; la perche ayant, par son élasticité, une force suffisante pour l’enlever par un mouvement contraire au sien. Il est aisé de sentir, par cette manœuvre, que l’auge doit être faite de pierre dure, & capable de résister à la chute, & aux coups réitérés de la demoiselle.

L’ouvrier a soin de ramasser, de temps en temps, le mortier avec une pelle au milieu de l’auge, dont le tour ne peut être que de bois, mais dont le fond doit nécessairement être de pierre. Il continue de piler chaque battée, pendant une demi-heure environ ; après quoi, il la retire de l’auge, & en fait un tas. Comme l’ouvrage est de onze heures de travail, hors le repas, en fait environ vingt battées dans un jour d’été.

Il ne suffit pas de battre ce ciment une première fois : on doit laisser reposer le tas, jusqu’à ce qu’il air atteint le dernier point de sécheresse, qui permet encore de rebattre la cendrée, sans y mettre d’eau, & au-delà duquel, elle deviendront si dure, qu’elle feroit une masse absolument intraitable & inutile.

L’usage seul peut apprendre quand il est temps de recommencer à battre un tas de cendrée. Comme cette matière est très-sujette aux influences de l’air, on doit se régler sur la température du froid ou du chaud. C’est beaucoup que d’attendre trois jours dans les grandes chaleurs du nord du royaume, & cet espace sera plus rapproché dans les provinces du midi. Dans une grande humidité, ce n’est pas trop de six.

L’on ne risque jamais rien de battre la cendrée aussi souvent, & aussi longtemps qu’on le veut, fut-ce pendant une année ; car plus elle est broyée & battue, mieux elle vaut : il y a cependant des bornes à ce travail.

En effet, à force de battre la cendrée, on la résout en une pâte qui devient toujours plus liquide ; & si l’on continuoit trop long-temps de suite, elle deviendroit au point de perdre son nerf, & une sorte de consistance qui lui est nécessaire pour être battue. C’est pourquoi l’on restreint le broiement de chaque battée à une demi-heure, après lequel temps on la laisse reposer deux ou trois jours : alors on la reprend pour la remettre au même état qu’elle étoit quand l’ouvrier l’a quittée.

Toutes les fois qu’on rebat la cendrée, l’économie veut qu’on le fasse toujours à propos, c’est-à-dire qu’on attende le moment qui précède immédiatement celui où il çommenceroit à être trop tard de le faire. Avec ces intervalles, il suffit de rebattre dix fois la cendrée, pour qu’elle acquière un degré de bonté, dont on doit se contenter ; au-lieu qu’en la rebattant coup sur coup, on recommencera plus de vingt fois, sans qu’elle soit meilleure que si on ne l’avoit rebattue que dix fois dans les temps convenables. Par ce moyen, les frais de main d’oeuvre, qui sont les plus considérables, se trouveroient doublés en pure perte.

La cendrée étant ainsi préparée, s’il survient un embarras qui empêche de l’employer, on ne doit pas discontinuer de la rebattre tous les trois jours, plus ou moins, suivant les saisons ; sans quoi elle se durciroit, & ne seroit propre à aucun usage.

En prenant ces mesures, un tas de cendrée peut se conserver pen-