Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

& aujourd’hui si sèches, si arides, diminuent journellement de hauteur ; toute la terre végétale a été entraînée par les eaux des pluies, par les vents impétueux : n’ayant plus les racines pour la retenir, elle est descendue dans la plaine, & a laissé le tuf à nu. Ce tuf, quoique naturellement très-dur, se détruit à son tour. Dès qu’il se trouve une scissure, une crevasse, l’eau pluviale y pénètre, le froid survient, l’eau se convertit en glace ; l’eau glacée augmente de volume, acquiert la force du levier ; enfin, pressant de tous côtés, le plus foible cède, les blocs se détachent ; de nouvelles pluies, de nouvelles gelées surviennent ; la terre ou les pierrailles qui maintenoient encore le bloc dans son équilibre, sont entraînées, & celui-ci détaché de sa masse, se précipite avec fracas dans le fond du vallon. Il faut souvent un grand nombre d’années pour opérer ces fortes séparations : on les remarque, parce qu’elles produisent de grands effets, & il n’en est pas ainsi des changemens journaliers & petits. Aussi, un homme d’un certain âge, est tout étonné de découvrir de son habitation, des tours, des maisons, &c. qu’il n’appercevoit pas dans sa jeunesse. Il n’est point de pays un peu montueux, coupé par des coteaux cultivés, qui ne fournisse des exemples multipliés de ce que je dis. La terre descend toujours, & ne remonte jamais ; toujours les pluies l’entraînent, & entraînent, à fur & mesure, celle qui se forme journellement par les débris successifs de la croûte des rochers.

Aux effets permanens & sans cesse renaissans des météores, on doit ajouter encore sur ces masses décharnées, ceux des plantes qui végètent dans leurs gerçures, & même sur leur surface. Le rocher le plus nu paroît recouvert de lichen, espèce de plante qui n’est guère plus épaisse qu’une feuille de papier, qui s’étend circulairement, & se colle sur lui : voilà le destructeur lent & certain des rocs les plus durs. Ces plantes coriacées ont des racines, elles simplantent dans les pores, travaillent petit à petit, & dans leur genre, comme les météores ; ce que l’on conçoit sans entrer dans de plus longs détails. Si, par hasard, dans les gerçures de ces rochers, il végète quelque plante à racine pivotante, ce levier, dont la force augmente parce qu’il agit sans cesse, soulève dès masses énormes, & il est presque toujours la cause de leur séparation & de leur chute.

Tout conspire donc à abaisser les montagnes ; cependant leur hauteur formoit ces abris heureux, qui permettoient, dans certains endroits, la culture de l’oranger, de l’olivier ; dans d’autres, celle de l’amandier & de la vigne. Les abris n’existant plus, les vents du nord agissent avec violence, le froid y est plus âpre, l’intensité de la chaleur plus foible, &c. & le climat est changé. Ces vérités sont si palpables, que, peut-être dans moins d’un siècle, il existera bien peu d’oliviers dans le Bas-Dauphiné, & dans ces parties de la Provence & du Languedoc, aujourd’hui dévorées par la rapidité des vents du nord.

L’agriculture & l’avidité des hommes a singulièrement contribué à changer la température des climats. Peut-être parviendroit-on à ramener une grande partie de cette intensité de chaleur, si l’on replan-