Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 3.djvu/537

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qu’elles ne sont pas concentriques, qu’elles sont plus larges d’un côté que d’un autre, & quelquefois même l’excentricité des dernières couches est de plusieurs pouces. Plusieurs personnes ont cru voir une régularité dans ce jeu de la nature ; mais les unes ont prétendu, que la plus grande excentricité se trouvoit du côté du nord ; les autres, au contraire, du côté du midi. De-là on en a conclu précipitamment, que cette observation pourroit être d’un très-grand secours pour des voyageurs égarés dans un bois, que cette espèce de boussole naturelle pourroit leur servir de guide, & les remettre dans leur chemin. Un fait mal observé, que l’on veut ensuite expliquer, entraîne nécessairement des raisonnemens faux & illusoires. Ceux qui prétendent que les couches sont plus épaisses du côté du nord, disent qu’il faut attribuer cet effet au soleil, qui dessèche le côté du midi, & ils appuient leur sentiment sur le prompt accroissement des arbres des pays septentrionaux, qui viennent plus vite & grossissent davantage que ceux des pays méridionaux. Ceux qui croient que les couches sont plus épaisses du côté du midi, disent que le soleil étant le principal moteur de la sève, il doit la déterminer à passer avec plus d’abondance dans la partie où il a le plus d’action, pendant que les pluies qui viennent souvent du vent du midi, humectent l’écorce, la nourrissent ou du moins préviennent le dessèchement que la chaleur du soleil auroit pu causer.

Ces raisonnemens, justes en eux-mêmes, ne prouvent rien, puisqu’il est de fait que l’épaisseur des couches & leur excentricité n’est pas en raison de la position horizontale, mais en raison de l’affluence plus ou moins grande de la sève, & des principes nourrissans d’un côté ou d’un autre. Les observations multipliées de MM. Duhamel & Buffon, les ont pleinement convaincus que la vraie causes de l’excentricité des couches ligneuses est la position des racines, & quelquefois des branches ; qu’elles étoient toujours plus épaisses du côté où étoit une grosse racine, où sortoit une grosse branche, parce qu’il arrivoit nécessairement une plus grande abondance de sucs nourriciers par cette branche ou cette racine ; que si l’aspect du midi ou du nord influe sur les arbres pour les faire grossir inégalement, ce ne peut être que d’une manière insensible, puisque, dans tous les arbres qu’ils ont coupés, tantôt c’étoient les couches ligneuses du côté du midi, qui étoient le plus épaisses, & tantôt celles du côté du nord ou de tout autre côté ; & que, quand ils ont coupés des troncs d’arbres à différentes hauteurs, ils ont trouvé les couches ligneuses tantôt plus épaisses d’un côté, tantôt d’un autre.

III. Du nombre des couches ligneuses. Il s’est encore glissé une autre erreur qui est généralement répandue ; c’est que le nombre des couches ligneuses indique précisément l’âge de l’arbre. L’observation détruit absolument cette assertion : comptez les couches ligneuses d’un chêne de quatre-vingt ans, d’un autre de cent ans, d’un autre de deux cents ans, vous n’y trouverez pas une très-grande différence, sur-tout une différence du double. Bien plus ; coupez transversalement une jeune tige de quelques années seulement, où les couches soient