Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/104

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tant de travail, tant d’avances & si casuelles, fait que dans les pays de prohibition, le cultivateur brûle ses marcs en cachette : de-là, visites sur visites des commis, contravention prouvée, & l’homme complètement ruiné. Cependant cet homme est au même degré, sujet de l’état & du Roi, que celui qui habite la province voisine, & qui distille publiquement ou son cidre, ou le marc de ses raisins. 6°. Les eaux-de-vie de marc venant à Paris, des provinces où la prohibition n’est plus en vigueur ; par exemple, de Velnoz en Brie, à la porte de la capitale du royaume, sont saisies à Paris par les maîtres gardes épiciers, quoiqu’elles aient payé les entrées sur le pied des meilleures eaux-de-vie de vin ; voilà une double persécution : cependant il n’est point de ville au monde où les arts puisent en faire une plus grande consommation. Ces eaux-de-vie sont permises dans les environs de Paris : comment contractent-elles donc des qualités pernicieuses en traversant ses barrières ?

D’après cette variété de prohibitions & de permissions, on diroit que tous les françois ne composent pas un même peuple. L’administration des anciens fermiers-généraux y trouvoit, sans doute, son intérêt, & souvent son intérêt particulier a pu prévaloir sur celui de l’état ; mais aujourd’hui que les fermes du Roi sont en régie, & que le Prince désire essentiellement le bien de son peuple, on peut espérer de voir bientôt disparoître des entraves si nuisibles à l’agriculture & au commerce.

Avant de terminer cet article, je me crois obligé de révéler publiquement une pratique odieuse qui s’est introduite à Paris, chez quelques débitans d’eau-de-vie en détail. Le peuple de Paris boit très-peu de vin, ou point du tout pendant la semaine, mais en revanche, chaque matin les ouvriers vont boire leur poisson d’eau-de-vie, ou du moins boire ce qu’ils croient être de l’eau-de-vie.

Supposons que la pinte d’eau-de-vie, tirée en droiture des lieux de sa fabrication & à moins de frais possible, revienne au particulier à raison de trente sols ; elle coûtera plus cher au petit marchand en détail, parce qu’ordinairement elle passe par plusieurs mains ; additionnant actuellement mesure sur mesure, il ne vend cette eau-de-vie que vingt-quatre, vingt-six à vingt-huit sols la pinte, & cependant il a beaucoup de bénéfice. Quelle sera donc sa ressource ? L’élonger avec de l’eau. Jusqu’à présent le mal n’est pas bien conséquent, si l’eau est en petite quantité, & la santé du citoyen n’est pas compromise. Le bénéfice du vendeur est encore peu considérable, il veut l’augmenter : à cet effet il ajoute encore de l’eau, & pour masquer cette double ou triple addition, & donner à l’eau-de-vie un goût fort & piquant, il y fait infuser du poivre d’inde, (v. ce mot) & alors elle gratte & échauffe vivement le gosier ; le peuple attribue cette irritation à la force de l’eau-de-vie : d’autres renchérissent encore & ajoutent à ce mélange de l’acide vitriolique. Ce sont des faits dont je réponds, & que je prouverai de la même manière que je démontrai en 1773