Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/407

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obligés de charger sur un âne les cadavres, parce qu’il ne se trouvoit plus dans le village des gens en état de les transporter au lieu de la sépulture.

Les villages situés près des étangs, ou sous leur vent, ressemblent à des hôpitaux ; on n’y voit que spectres se traîner, & traîner une vie languissante ; la pâleur de la mort est sur leur visage, & le principe de la mort circule avec leur sang ; on prodigue vainement les remèdes à ces malheureux, ils épuisent le reste de leurs forces & anéantissent leur petite fortune : tant que le foyer du mal existe, le remède est plus dangereux qu’utile ; il faut attendre le retour des fraîcheurs. Terre infortunée, terre qu’une insatiable & mal entendue cupidité a rendu maudite, comment êtes-vous encore habitée ! Si j’étois curé dans ces cantons, j’assemblerois les habitans, je monterois en chaire & je leur dirois : Ce n’est pas vivre que de souffrir perpétuellement ; les maladies vous enlèvent la force de travailler ; ce n’est pas assez d’être écrasés d’infirmités, la misère assiège votre porte, l’enfant vous demande du pain, & vous ne pouvez lui donner que des larmes : fuyez ces lieux pestiférés, abandonnez vos foibles & calamiteuses possessions ; si vous êtes valets ou journaliers, vous trouverez par-tout de l’emploi ; la santé vous rendra des forces, & vous gagnerez de quoi nourrir vos enfans. Si vous êtes fermiers, ne croyez pas que vos maîtres barbares, qui vous voient abîmés dans les souffrances & dans l’impossibilité de travailler, se relâchent d’un seul denier sur le prix de la ferme ; en fuyant ce séjour de la mort ; forcez-les à venir eux-mêmes, cultiver leurs héritages, ou à les abandonner. Lorsque vous les aurez réduits à cette extrémité, la soustraction des revenus les contraindra à se procurer des ressources ; ils se plaindront, demanderont des secours, solliciteront, importuneront : leur voix pénétrera insensiblement jusqu’au premier degré du trône, & le gouvernement viendra à leur secours. La plainte de l’indigent passe rarement le seuil de la porte ; on croit avoir beaucoup fait, lorsqu’on lui a accordé une pitié stérile. Puisse le nombre des curés, capables de parler ainsi, se multiplier autant que celui des paroisses infectées, & faire voir qu’ils ont de l’énergie dans l’ame ! Aux grands maux il faut de grands remèdes ; les palliatifs les augmentent ; la coignée mise au pied de l’arbre est le seul remède. Je sais que les propriétaires des étangs trouveront ma morale un peu sévère, qu’ils me traiteront même de séditieux ; mais est-ce ma faute si de gaieté de cœur, connoissant toute l’étendue du mal, ils persistent à être non-seulement le fléau, mais encore les destructeurs de l’espèce humaine ?

La suppression des étangs est un objet indispensable ; le salut de la masse y est attaché, & ce n’est pas plus attaquer les propriétés, que de prendre du terrein pour les grands chemins ; encore, dans ce dernier cas, le propriétaire perd sa possession, au lieu que l’étang, converti, en terre labourable ou en prairies y augmente ses revenus

Si les communautés ne suivent pas les sages conseils que je suppose donnés par le curé, elles doivent s’assembler, constater par des pro-