Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/495

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le jeter le dernier dans la cuve. La superficie du raisin dont le vaisseau est rempli, paroit très-échauffée à la main qui le touche ; mais si on enlève cette vendange à la profondeur de quelques pouces, on trouvera l’intérieur froid, parce que la chaleur de cette saison n’a pas la force & l’activité suffisantes pour pénétrer jusqu’au centre de la masse. Le grand point est que l’homogénéité de chaleur se trouve dans toute la masse qu’on doit jeter dans la cuve.

La seconde condition essentielle est que la cuve soit remplie dans le même jour. Si on a suivi la marche indiquée, il est clair que la fermentation s’établira dans les 24 heures, même avant, & qu’elle sera très-sensible. On ne doit pas craindre dans nos climats qu’elle soit trop turbulente. Une fois commencée, elle ne doit pas être interrompue sous quelque prétexte que ce soit. C’est déranger la crise opérée par la nature, & on ne la dérange jamais impunément. Or, si dès le lendemain, ou dans les jours suivans, on jette de nouveaux raisins dont la chaleur soit inégale, il est clair, & l’expérience prouve que la fermentation est suspendue, & qu’elle est obligée de recommencer presque sur de nouveaux frais. Si le nouveau raisin est plus chaud que le premier, il donne tout à la fois une trop forte impulsion à la fermentation qui doit suivre une marche constante, uniforme & toujours soutenue ; s’il est également chaud que l’autre, sa fermentation ne sera jamais au pair : j’en ai la preuve. Tous les raisonnemens ne prouvent pas comme l’expérience. Remplissez une cuve avec les précautions indiquées ; remplissez-en une autre avec les mêmes raisins & de la même vigne, à différentes reprises, & vous verrez, 1°. que la première sera plutôt faite ; 2°. que son degré de chaleur sera plus considérable ; 3°. que le vin que l’on en retirera sera plus amiable, mieux fait, & qu’il se conservera plus long-temps.

Si la cuve est placée simplement sous un hangar, ou exposée à l’air, comme on le voit chez plusieurs particuliers des provinces méridionales, la fraîcheur des nuits diminue beaucoup la chaleur de la masse. L’air de l’atmosphère, beaucoup plus froid qu’elle, la soutire, parce que tous les fluides cherchent à se mettre en équilibre, & le grand courant d’air la dissipe. Celles placées dans des caves n’éprouvent presque pas les bienfaits de la chaleur du jour. Comme il faut, autant qu’il est possible, entretenir une chaleur égale dans le cellier, (voyez ce mot) il convient d’ouvrir portes & fenêtres tant que le soleil est sur l’horizon, afin d’échauffer l’air de son atmosphère, & les refermer exactement lorsque le soleil est couché : que si, malgré ces précautions, l’air atmosphérique du cellier n’est pas assez échauffé, & si la fermentation traîne trop en longueur, comme en 1740 & en 1769, il est prudent d’établir des feux dans le cellier même, afin de remettre l’air au même point de chaleur qu’il a communément. Ces précautions paroîtront minutieuses à tous les vignerons, mais elles ne sont point telles, l’expérience démontre leur utilité, & il est dans l’ordre que l’art suive la marche de la nature lorsque Celle-ci s’y refuse.