Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/509

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Le grand art est d’exciter une bonne fermentation, & non pas de la rendre turbulente ; il faut que la première désunisse & combine les différentes substances contenues dans le raisin ; qu’elle les brise & les atténue au point de leur faire éprouver des chocs, des collisions, des frottemens en tous sens, afin qu’elles s’usent passant près les unes des autres, pour ainsi dire, comme la lime sur le fer ; enfin, que la fermentation crée ou développe le principe spiritueux, résultat du mélange parfait des principes & du grand travail de la nature. Si la chaleur est trop forte, il y aura, il est vrai, de très-grandes divisions, de très-grandes atténuations, mais très-peu de combinaisons & de recombinaisons, parce que le principe spiritueux très-fugace se dissipe malgré le chapeau & malgré tous les moyens qu’on prendroit pour le retenir ; d’ailleurs il ne peut s’échapper sans entraîner avec lui une grande quantité de gaz ou air fixe, & je ne cesserai de répéter, que le premier est l’ame du vin, & le second son conservateur ; ainsi, l’addition du moût bouillant peut donc être ou très-utile ou très-préjudiciable suivant les circonstances.

§ II. Dans quelles proportions doit être faite l’addition du moût bouilli ? La vigne est originaire des pays chauds, & dans le climat qui l’a vu naître, il est inutile de recourir aux moyens secondaires, ou de l’art, pour donner de la qualité à son produit ; mais transportée du midi au nord, elle y est étrangère ; dès-lors, la nécessité des abris, le choix dans les espèces, les attentions nombreuses avant, pendant & après la fermentation, ces soins, ces précautions démontrent que le suc exprimé de son fruit n’est parfait qu’autant qu’il approche le plus de la qualité de celui des pays qui nous ont fourni la vigne. Malgré les châssis, les serres, les couches, &c. l’ananas, les oranges n’auront jamais le même goût, le même parfum qu’en Amérique ; la nature y travaille librement & chaque plante y suit sa loi ; mais en France, sur-tout au nord, elle est contrainte, & la vigne s’y voit à regret, plantée en dépit de Bacchus ; dès-lors peu de principe sucré dans le raisin, beaucoup d’aquosité, de verdeur, d’âpreté, &c : mauvaise fermentation, vin détestable, & que l’on y trouve bon cependant, parce qu’on n’en connoît pas d’autre. Il est donc d’une nécessité indispensable de recourir à l’art lorsque la nature est en défaut.

Cette correction par le moût, est rarement nécessaire dans nos provinces méridionales, à moins que l’année n’ait été très-froide, la vendange mauvaise, &c. : le raisin (à l’exception de quelques espèces) ne pèche pas par la non-maturité ; mais le vin, par la mauvaise manière de le faire & le peu de soins qu’on lui donne ; cependant, ceux qui ont des vignobles considérables, plantés en espèces tardives, & uniquement dans la vue de se procurer beaucoup de vin, retireront des avantages marqués de cette addition, ménagée avec prudence. Les autres vins de qualité n’en ont aucun besoin ; ce n’est ni le spiritueux, ni la partie sucrée qui leur manque, ils n’en ont souvent & presque toujours que trop ; c’est la partie aromatique & amiable dont ils sont dépourvus. Je conviens que le moût bouilli les rendroit, à la rigueur, plus veloutés ; mais il augmenteroit trop leur