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agréable, spiritueuse, & une légère odeur d’esprit de vin ; elle étoit claire, transparente, & n’a paru avoir aucune saveur. Il faut remarquer qu’après avoir bu de cette eau, ces personnes ressentirent au palais, pendant plusieurs heures, une acrimonie qu’on peut comparer à celle qui précède les aphtes, (Voyez ce mot) ou petits ulcères superficiels qui viennent à la bouche.

Cette expérience démontre qu’il se perd réellement beaucoup de spiritueux, lorsque la fermentation approche de son maximum, lorsqu’elle y est parvenue, & lorsque l’on décuve, (Voyez les tableaux insérés, Chap. 2, Section 1, Paragraphe 2) & par conséquent, combien il est essentiel de l’y retenir.

Cette saveur acre ne seroit-elle pas due à l’huile essentielle du vin, très-atténuée & vaporisée ? j’ose le croire, mais je ne l’affirme pas. Tout le monde connoît son acrimonie. On objectera que les huiles essentielles rendent l’eau laiteuse, troublent sa couleur ; j’en conviens ; mais dans ce moment, n’y auroit-il pas une exception à cette règle, car les circonstances ne sont pas égales : cet examen nous mèneroit trop loin.


CHAPITRE IV.

De la Fermentation insensible.


Tous les corps qui contiennent en eux une certaine humidité, une certaine quantité d’eau, sont susceptibles de la fermentation insensible ; tels sont les grains, les fruits. On l’appelle insensible, parce qu’elle s’exécute sans un mouvement apparent. Du blé fermé dans un grenier, avant qu’il soit parfaitement sec, s’échauffe petit à petit, s’enfle, pousse en-dehors son humidité, ou peut-être dans cet état attire-t-il celle de l’atmosphère ; je le croirois assez, parce qu’il tend à l’acidité, il germe, se moisit & pourrit. Le foin peu sec & amoncelé dans un grenier, s’échauffe & même s’enflamme. Un fruit bien mûr, par exemple, les guignes, les cerises, les groseilles, le raisin, &c., si la saison est fort sèche, se dessèchent sur l’arbre, parce que peu-à-peu leur principe aqueux s’évapore en grande partie, & il n’en reste pas assez pour mettre en action le principe sucré : ils sont alors dans le cas des bons syrops dont la partie sucrée prédomine de beaucoup sur la partie aqueuse. C’est d’après cette théorie que l’on conserve les fruits d’hiver sur des planches, de la paille, &c., mais jamais sur du foin, parce que l’humidité du fruit se communique au foin, le fait fermenter ; il s’échauffe & fait fermenter le fruit dont il hâte la putréfaction : cette fermentation est intérieure & n’offre aucun symptôme à la vue, sinon que insensiblement le fruit change de couleur, & quelquefois conserve encore sa fraîcheur à l’extérieur, quoiqu’il soit pourri dans le centre. Mais si on prive les grains de leur eau de végétation, si on fait évaporer par la dessiccation au four ou au soleil, la plus grande partie de cette eau contenue dans un fruit, si on les tient ensuite dans un lieu sec, ils se conserveront très-long-temps, & ne se gâteront que lorsqu’ils se seront appropriés une certaine quantité d’humidité de l’atmosphère, capable de rétablir la fermentation insensible. On conçoit très-bien qu’il y a un terme à tout, que tous les êtres de la nature doivent à la