Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/9

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au loin ; le moment de pondre approche, elle hâte le pas & va se rendre à sa destination. Combien de fois n’ai-je pas eu le plaisir de les suivre pour étudier leurs petites ruses, & je n’ai jamais vu qu’une seule dinde faire ses œufs dans l’après-midi ; il arrive souvent qu’avec ces dindes vagabondes, on perd des nichées entières & la mère. Si les œufs ne sont pas détruits par les belettes & autres animaux de cette famille, la mère meurt de faim sur ses œufs pendant le temps de l’incubation, parce qu’elle ne les quitte pas, même pour aller prendre sa nourriture. J’ai trouvé dans une dinde morte de cette manière, l’estomac rempli de terre, de petits graviers, & de quelques brins d’herbe qu’elle avoit pris dans la circonférence de son nid.

On doit conclure, d’après ces observations, 1°. qu’à l’époque de la ponte, la dinde aime la solitude, & par conséquent qu’il est prudent de ménager, dans un des recoins de la cour ou des environs de sa demeure, des cases, des cachettes, afin qu’elle y dépose ses œufs. 2°. Ces cases ne doivent point être trop près les unes des autres, & sur-tout leur ouverture se regarder. 3°. Qu’il est prudent de loger les femelles dans un lieu séparé des coqs, des poules. 4°. Pour prévenir ces courses, il est important de ne pas laisser sortir de la cour les dindes avant l’heure de midi, parce que le moment de pondre étant venu, elles sont forcées de déposer leurs œufs. Pendant tout le temps que dure la ponte, on doit séparer les mâles des femelles, au moins pendant les matinées, parce que si le mâle la trouve sur le nid, il la bat, la chasse & casse les œufs.

Suivant la chaleur de la saison, elles pondent un œuf chaque jour, ou tous les deux jours, & ordinairement depuis quinze jusqu’à vingt.

IV. Du temps de couver. On connoît que la femelle veut couver, lorsqu’elle reste sur son nid plus d’une demi-heure de suite, & qu’elle ne le quitte plus. Si elle a déposé ses œufs dans un endroit humide & bas, il est prudent de lui pratiquer un nouveau lit, bien garni de paille ou de foin, dans un lieu sec & retiré ; de l’enlever doucement de dessus ses œufs, de les transporter sur l’endroit qu’on lui destine. Une dinde peut couver jusqu’à vingt-un ou vingt-trois œufs de son espèce, & jusqu’à trente-un œufs de poule. Je ne sais pourquoi on s’attache à ce nombre impair ; c’est une coutume reçue presque par-tout. Comme elle ne tire à aucune conséquence, je n’ai pas pris la peine d’examiner si le nombre pair ne réussiroit pas tout aussi bien.

V. De l’incubation. Elle dure trente jours, quelques fois trente-un ou trente-deux si la saison ou le local sont froids & humides. Pendant tout ce temps la femelle ne sort pas de dessus ses œufs, elle y mourroit plutôt que de les quitter. Le mâle ne partage point les sollicitudes de l’incubation ; il faut, ainsi que je l’ai déjà dit, le tenir très-éloigné, & qu’il ne s’approche jamais de la couveuse. Presque chaque jour cette mère attentive fait changer de place à ses œufs ; ceux du centre viennent successivement à la circonférence, & ceux de la circonférence au centre. Si le nid qu’on a préparé est trop étroit, s’il n’est pas garni d’une bonne