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quantité de paille, on court les risques d’avoir beaucoup d’œufs cassés ; alors on fait un crime à la couveuse de sa mal-adresse, tandis qu’on devroit imputer à soi-même le manque de soins. Les longues pattes de la dinde sont ce qui la gêne le plus, lorsqu’elle n’a point assez de paille pour les enfoncer, parce que la position de son corps & sa conformation exigent que les pattes soient placées au-dessous dans toute la longueur d’espace occupé par les œufs qu’elle couve.

Afin de prévenir l’inanition ou la mort de la couveuse, plusieurs auteurs ont conseillé de la sortir chaque jour de dessus ses œufs, & de la porter vers une mangeoire bien garnie : c’est le moyen le plus assuré d’avoir beaucoup d’œufs cassés. Lorsque la dinde a choisi la position qui lui convient & qu’elle n’abandonne jamais, il est bien plus simple de mettre devant elle & à sa portée la nourriture & la boisson. Comme elle est fort échauffée elle boit beaucoup plus qu’elle ne mange ; de cette manière la couvée va toujours à bien : le petit animal renfermé dans l’œuf, n’éprouvant point les alternatives de froid & de chaud, comme lorsqu’on enlève chaque jour la mère pour la faire mander, a toujours la force de percer sa coquille & d’en sortir.

La nature sans cesse prévoyante & admirable jusque dans ses plus petits détails, a placé sur la partie supérieure du bec de ces petits animaux, une espèce de corne pointue, avec laquelle, par un simple mouvement de la tête, en la haussant & la baissant dans l’œuf, ils liment la coquille sur la direction d’une ligne droite de quatre à cinq lignes de longueur. Cette première section faite, le bec s’élargit, la tête sort, enfin l’animal avec ses pattes pousse derrière lui le reste de la coquille. Cette pointe tombe deux ou trois jours après la naissance, & le bec reste net : existe-t-elle sur le bec de tous les oiseaux ? Je crois que oui ; mais je l’ai seulement observée sur les canards, les dindes, les poules & les pigeons. Il me paroît qu’elle est aux oiseaux, ce que la liqueur corrosive est aux insectes lorsqu’ils veulent sortir de leur cocon.

Il résulte de ce point de fait, que la coutume d’ouvrir la coquille, afin de faciliter la sortie de l’oiseau, conseillée par plusieurs agronomes, est déplacée. On ne sait pas, en effet, ce quel côté est située sa tête. Or, si on la pratique du côté opposé, elle devient inutile, puisque l’animal ne peut se retourner, ni sortir en allant à reculons ; il faut donc, dans le cas de foiblesse supposée à ces dindonneaux, briser entièrement la coquille.

En seroit-il encore des oiseaux, dans cette circonstance, comme des insectes ? La nymphe du ver à soie, tirée de son cocon, lorsqu’elle se métamorphose, ne donne jamais un papillon aussi fort, aussi vigoureux que s’il avoit été obligé d’ouvrir lui-même la porte de sa prison. Ne seroit-ce donc pas la cause d’où dépendroit la difficulté d’élever ces oiseaux ? Pour moi, qui pense que la nature a fait tout pour le mieux, je ne conseille en aucune manière ce brisement de coquille, il est contre l’ordre établi, & la nature n’a pas sans raison armé le bec de ces oiseaux. Laissons-la agir & ne la contrarions pas ; elle en fait plus que nous.

La dinde peut faire deux pontes