Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1783, tome 4.djvu/98

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comme un grand débouché des vins de raisins, surabondans dans certaines provinces, ainsi que des cidres, des poirées, & des marcs.

Ce fut au milieu du siècle dernier que l’eau-de-vie commença à devenir une petite branche de commerce ; elle s’est accrue insensiblement, & elle est parvenue au point où nous la voyons aujourd’hui. Jusqu’à cette époque, on la distilloit pour la simple consommation des arts & des pharmacies. Cette liqueur étoit regardée comme très-nuisible à la santé ; des réglemens de police en proscrivirent l’usage ; enfin, par un édit du mois de décembre 1686, le gouvernement établit un droit de quatrième & de huitième, porté à 50 livres 8 sols, aux entrées de Paris, à l’effet, y est-il dit, d’empêcher la grande consommation qui s’en fait dans le royaume. Le besoin, l’habitude devinrent plus forts que la loi, & cette branche de commerce augmenta à tel point dès le commencement de ce siècle, que le ministère s’en occupa, donna des réglemens ; enfin, pour mieux favoriser le commerce de l’eau-de-vie de vin de raisin, il publia une déclaration du Roi du 24 janvier 1713, « qui défend, à peine de 3000 livres d’amende & de confiscation, la fabrication des eaux-de-vie de cidre & de poiré, dans toute l’étendue du royaume, à l’exception de la province de Normandie, & des différens diocèses qui composent celle de Bretagne, à la réserve du diocèse de Nantes ; de transporter desdites eaux-de-vie de l’une desdites provinces à l’autre, & dans tous les autres lieux & provinces du royaume, à peine de 2000 livres d’amende & de confiscation des eaux-de-vie & des voitures ; de transporter ces eaux-de-vie dans le pays étranger, & embarquer sur les vaisseaux étrangers, sous peine des mêmes amendes & de confiscation. »

En encourageant la culture des vignes, & la distillation dans certaines provinces, & défendant la distillation dans les autres, le bien général de l’état fut livré à la fortune de quelques particuliers. Il est à supposer que ces encouragemens étoient alors nécessaires ; la même nécessité existe-t-elle aujourd’hui, & en résulte-t-il un bien réel pour l’état ? On ne m’accusera certainement pas de vouloir critiquer la législation ; personne n’est plus que moi soumis aux loix du Souverain, & n’a plus à cœur le bien public. Ce n’est donc pas en qualité de réformateur, mais en celle de citoyen que je vais proposer quelques idées. J’habite le Languedoc, j’y possède un vignoble assez considérable ; je parle donc contre mon intérêt particulier, qui doit se taire quand il s’agit de celui de la nation entière.

Si les eaux-de-vie de vin de raisins suffisoient à la consommation intérieure du royaume, & à l’exportation, peut-être seroit-il utile, quoique contre le droit de propriété dont tout citoyen doit jouir, de défendre le commerce des eaux-de-vie de cidre & de poiré dans le reste du royaume, & de les porter à l’étranger ; mais il est facile de prouver que ces premières eaux-de-vies ne remplissent pas les deux objets. Pour s’en convaincre de la manière la plus décisive, il suffit de voir & de compulser les registres des douanes des ports de Marseille,