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coup mieux les intempéries des saisons, que sa végétation sera beaucoup plus vigoureuse & plus complète que celle d’un grain qui aura souffert.

Quelques auteurs ajoutent que le froment criblé par les charançons, par les petits papillons, si connus dans l’Angoumois, & dont nous parlerons par la suite, &c., sont encore très-bons à semer, parce que les insectes n’attaquent pas plus le germe du blé que celui des pois, &c. Oui, ces grains germeront ; mais de bonne foi, peut-on croire que la nature ait inutilement environné ce germe d’une substance farineuse & qui devient sucrée & laiteuse lors de la germination ? Ne voit-on pas que cette substance laiteuse est la nourrice du germe jusqu’à ce qu’il se soit enfoncé en terre pour y prendre la vraie nourriture de la plante ? Consultez à ce sujet l’anatomie du froment, par M. l’Abbé Poncelet, rapportée au mot Blé ; l’insecte ne détruit pas absolument toute la substance farineuse, & le peu qu’il en reste fournit une nourriture médiocre au germe, & il s’élance comme il peut, c’est-à-dire, chétivement. Que l’on me montre un seul grain de froment, entièrement dépouillé de sa farine & auquel il ne reste que le germe ; que l’on le mette en terre avec tous les soins possibles, j’ose dire que le germe, s’il pousse, avortera peu de jours après. J’en ai répété plusieurs fois l’expérience ; d’autres peuvent avoir été plus heureux que moi ; mais j’ignore comment ils s’y sont pris.

Admettons pour un instant, que ces blés criblés, vermoulus, &c. germent ; qu’une économie passable leur mérite cette préférence ; peut-on mettre en comparaison des probabilités contre des certitudes, surtout quand on est obligé de vivre sur le revenu du produit de ses terres, & le tout pour une mesquine économie ?

Il est rare de trouver des fromens dont les grains soient tous de la même espèce, c’est-à-dire, tout froment rouge, ou jaune, ou touzelle, &c. La cause de ce mélange de grains tient à ce raisonnement : Si une espèce ne réussit pas cette année, l’autre réussira, & la récolte sera toujours à peu près égale. Ce raisonnement est purement spécieux. Ne vaudroit-il pas mieux avoir un champ semé d’une espèce de froment qu’on sait, par expérience, lui convenir ; le second champ semé d’une autre espèce analogue à son sol, & ainsi de suite ? En mêlant ainsi les grains, les espèces jardinières, on les abâtardit toutes, parce que dans le temps de la fleuraison, les étamines ou poussières fécondantes se portent d’une espèce sur une autre ; & de-là, il résulte que le blé barbu devient presque ras, que le blé ras devient barbu, le jaune, rouge, &c. ; c’est-à-dire, que tous prennent des nuances différentes de celles qu’ils auroient eues. De-là naissent ces espèces hibrides du second genre & qui varient chaque année. Ayez des yeux, observez, & vous vous convaincrez par vous-même de ces vérités.

Un moyen peu dispendieux & assez facile pour se procurer de beau froment de semence, exempt de tous mauvais grains, ou grains étrangers, & de la qualité que l’on désire, consiste à placer une femme entre chaque moissonneur & en avant de chacun. Les femmes & les