Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/160

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& vieux langage vaut mieux que ce que je pourrois dire.

« La maturité des bleds se cognoist aisément à la couleur, qui est jaune ou blonde ; & quand les grains sont affermis, non encore du tout endurcis, c’est lors le vrai poinct de les couper, avec cette commune raison, que les prenans un peu verdelets, & non extrêmement meurs, s’achevent de meurir & préparer en gerbes ; & n’est-on en danger d’en perdre beaucoup en moissonnant & charriant, comme l’on feroit les prenant trop meurs & desséchés, dont grand quantité de grains s’écoulant, sortent de l’espi, allans à terre, sans en pouvoir être recueillis. Par cette raison, vaut beaucoup mieux s’avancer de deux ou trois jours que de retarder aucunement ; joinst que le bled pourtant n’en deschoit nullement de couleur, laquelle il acquiert belle & bonne, se confisant un peu en gerbes. »

» Le bled qu’aurez destiné pour semence, ne sera coupé qu’en parfaite maturité, estant nécessaire pour le bien faire fructifier de le laisser meurir en perfection, sans avoir esgard au déchet qui pourra estre en attendant cela, de choisir le poinct de la lune & les heures du jour pour la couppe des bleds, comme aucuns ont commandé, est chose impossible, bien que cela fust à désirer. La vieille lune[1] & les matinées & vespres pour telle action estans à préférer à tout austre temps : car les bleds ne vous donnent ce loisir-là d’attendre ni de layer aucunement pour s’avancer d’heure à autre, depuis qu’ils ont prins le vol de se meurir, voire se bruflent-ils presque de moment à austre par la véhémente chaleur du soleil. Parquoi à moissonner emploiera-t-on toutes les minutes du jour, montrans par diligence combien nous chérissons cette précieuse manne. Le vulgaire appelle ce temps le temps de besongne, comme voulant dire, toute autre œuvre de la terre n’estre que préparatif pour ceste-ci ou ses accessoires. »

» De peur que du grain n’est chéié par trop en terre en le transportant, comme toujours quelque portion s’en perd pour doucement qu’on le manie, le bled coupé & lié sera laissé sur terre jusqu’au lendemain grand matin, pour lors, avant que le soleil frappe fort les gerbes, estre enlevées & accumulées en petits monceaux, chacun d’une ou deux charretées, ou de sept à huit charges de mulets ; lesquelles gerbes par avoir été quelque peu humectées de rosée & fraîcheur de nuit, pourra-t-on manier sans crainte d’en faire couler ou glisser le bled, raccompagnant telle humeur toute la journée, dont commodément il sera charrié en la grange ou en l’aire suivant l’usage du pays. »

» S’il escheoit que l’on soit contraint de couper partie de bled, non encore meur, (comme cela avient quelquefois de celui qui se trouve ès ombrages, sous les arbres, près des murailles ou bien que la commodité d’ouvriers presse, craignant

  1. Cette assertion de l’Auteur tient à l’opinion du temps ou il écrivoit, & on ne connoissoit pas les véritables effets de la Lune. (Voyez ce mot.)