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ces précieux dons, combien y en a-t-il à qui elle a refusé cette mémoire heureuse ! C’est à l’art à suppléer à la nature, à la remplacer même. Les botanistes, pour cet effet, ont imaginé les herbiers, dans lesquels on conserve avec soin les plantes que l’on ne peut avoir toujours sous les yeux. Là, comme dans un jardin perpétuel, toutes les plantes se trouvent rangées dans un ordre choisi, avec leur tige, leurs feuilles, leurs fleurs, leurs fruits même : elles ne vivent plus ; mais on peut dire qu’elles ne sont pas mortes ; l’art a prolongé leur existence, il conserve leur port, & presque toute la vivacité des couleurs qui les avoient embellies : il surpasse en quelque sorte la nature, en pouvant offrir dans le même moment les époques successives par lesquelles elles ont rempli leur destinée : mais combien de soins, minutieux même, ne faut-il pas apporter pour réussir à tirer tout le parti d’une plante. Certainement les amateurs du règne végétal ne seront pas fâchés de trouver ici quelques détails sur la manière la plus avantageuse de faire des herbiers ; ils indiqueront la façon de récolter les plantes, leur dessiccation, & la formation de l’herbier.


De la Récolte des Plantes.


La nature, pour varier ses richesses, piquer nos désirs & multiplier nos jouissances, en même temps qu’elle a consulté ce qui convenoit le mieux à chaque plante pour qu’elle eût les vertus & les propriétés qui font son essence, ne les a pas entassées dans un seul endroit : elles les a distribuées au contraire, loin les unes des autres : tantôt dans les plaines fertiles, tantôt sur des rochers que les siècles ont dépouillés de toute parure ; celles-ci aiment la retraite & l’obscurité des bois, tandis que les autres se plaisent, pour ainsi dire, à contempler leur port & l’émail de leurs couleurs, dans le cristal d’une fontaine, dans l’eau languissante des marécages, ou dans les flots rapides des ruisseaux & des torrens. Toutes semblent fuir l’homme pour jouir de la liberté qui, seule, leur permet d’être ce qu’elles doivent être. Il faut donc les aller conquérir, pour ainsi dire, dans leur pays, & les courses, entreprises pour cet effet, sont connues sous le nom d’herborisations. L’herborisation peut se faire pendant toute l’année ; car il n’y a pas de saison où la nature ne nous offre des richesses ; l’hiver même présente encore quelques plantes qui, affrontant la rigueur des frimats, semblent survivre à toute la nature & la remplacer.

La récolte des plantes peut avoir deux objets, ou simplement la curiosité & le désir de former un herbier complet ; ou la nécessité de ramasser des plantes pour l’usage de la pharmacie. Dans le premier cas, il faut plus de soin, parce qu’il s’agit de conserver la plante dans l’état le plus voisin de son état naturel ; dans le second, il en faut beaucoup moins ; il suffit d’amasser des plantes, mais il faut observer de les cueillir dans le moment où elles ont le plus d’énergie ; ce qui exige des connoissances dont nous parlerons plus bas,