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grande masse. Elle ressemble à la feuille d’or appliquée sur un lingot d’argent, d’un pied de longueur sur un pouce d’épaisseur, qui recouvre entièrement le trait, quoique tiré par des filières où le cheveu ne sauroit passer. L’huile essentielle se transmet ainsi de pressées en pressées.

Je réfléchissais sur ces abus & sur leurs suites, ne trouvant pas à mon arrivée, dans la retraite que j’habite aujourd’hui, une seule goutte d’huile sans odeur forte & sans rancidité, lorsque mon tour de faire l’huile arriva. Il falloit opter entre en avoir de semblable à celle que l’on trouve bonne dans le pays, (quoique très-forte), ou chercher des expédiens capables de faire disparoître les principes d’acrimonie & de rancidité inhérens aux ustensiles de l’atelier. Voici comme je m’y pris : il m’en coûta le double pour la mouture, je ne quittai pas l’attelier, & je réussis à faire de l’huile très-fine qui a conservé sa douceur & sa qualité pendant deux ans. Il est vrai que je me donnai des soins pour la conserver, & j’en parlerai dans la suite. Cette méthode de préparation s’applique également aux huiles de graines & de noyaux.

Il est bien démontré que l’huile la plus bouillante ne s’unit pas aux corps graisseux, huileux, &c ; qu’elle ne les dissout ni se combine avec eux ; mais il est également démontré que si on interpose entre ces substances si opposées un corps susceptible de s’unir à toutes deux, il facilite leur combinaison & leur union. Les sels alcalis, comme la chaux, la cendre gravelée ou clavelée, (voyez ce mot) la lessive très-chargée du sel des cendres avec lesquelles on l’a faite, dissolvent l’huile, l’amalgament avec l’eau. C’est sur ce point qu’est établie toute la théorie & la pratique de l’art du savonnier.

L’huile réduite à l’état de savon, devient soluble dans l’eau, & alors l’eau chaude la détache des corps qu’elle recouvroit ou qui la contenoient.

Partant de ces vérités premières & immuables, je me servis de la cendre gravelée, comme la moins coûteuse, & parce que, sous un très-petit volume, elle contient beaucoup d’alcali. Avec huit livres de cette substance j’eus de quoi passablement alcaliser la valeur de 80 à 100 bouteilles d’eau. Lorsque l’eau fut bouillante, on en jetta à grands flots une partie sur la meule, sur la table sur laquelle elle roule verticalement, sur le pressoir, les piles, &c. ; & les cabas qui avoient déjà servi, furent mis dans la chaudière avec le reste de l’eau alcalisée. À force de balayer, de frotter toutes les pièces, la couche crasseuse, huileuse & tenace se détacha du bois, de la pierre, des cabas, &c. &c ; enfin, le grain des pierres fut à nu, & devint aussi visible que celui des marbres polis. Le spart des cabas ne reprit point sa couleur primitive ; mais les interstices entre les brins ne furent plus obstrués que par la matière savonneuse qui venoit de se former. Aussitôt après cette première opération, je fis tout laver à grande eau bouillante & à grand flot, afin de dissoudre la substance savonneuse.

J’aurois pu, à la rigueur, m’en tenir à ces premières préparations, mais je savois combien la plus légère parcelle d’alcali, unie aux huiles douces,