Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/581

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recéler. Plus l’eau reste stationnaire dans l’enfer, & plus l’huile & le mucilage s’en séparent ; il est donc de l’intérêt du propriétaire d’avoir un très-grand enfer. À la fin de ce qu’on appelle la campagne c’est-à-dire, lorsqu’il n’y a plus d’huile à passer, le propriétaire lève l’huile de la surface de l’eau de son enfer, lâche l’eau inutile, puise celle qui recouvre le mucilage ; le laisse égoutter ; quelques-uns l’echaudent encore, & le repassent de nouveau pour en extraire toute l’huile. Il dépend du maître ouvrier de rendre gras l’enfer, pour peu qu’il s’entende avec le propriétaire (cette collusion n’est pas rare) ; il suffit pour cela de se hâter de lever l’huile sur les tonnes, d’en lâcher l’eau ; ou bien, par un tour de main trop ordinaire, il suffit, lorsqu’il lève l’huile, d’appuyer sa patelle un peu fortement : alors l’huile de la surface mêlée à beaucoup de mucilage, & par conséquent guère plus légère spécifiquement que l’eau, se précipite avec lui au fond de la tonne, & il faudroit attendre un temps qu’on ne donne pas, pour qu’elle remontât à la surface. Ainsi un propriétaire peut dire : mon enfer rend ce que je veux. Je ne veux pas inférer de là que tous les propriétaires des moulins soient des mal-honnêtes gens ; je veux dire seulement que lorsqu’il est possible d’augmenter son bénéfice sans que cela paroisse trop ouvertement ; que lorsqu’on peut lever une petite cruchée sur chaque particulier, il est bien difficile de se refuser à l’occasion. En effet, l’enfer est une bonne chose, puisqu’il couvre l’intérêt de la mise première en bâtimens, en ustensiles, & pourvoit à l’entretien annuel & général de la totalité ; enfin il assure en outre un bénéfice réel, puisqu’il ne manque jamais de fermiers, si le propriétaire veut louer son attelier. Dans les cas de probabilité, j’aimerois mieux envoyer mes olives dans un moulin que fait valoir le propriétaire, que dans celui qui est affermé. L’huile d’enfer, bien puante, bien rance, est vendue aux fabricans d’étoffes en laine, & ils l’achètent dix-huit ou vingt francs de moins par charge que l’huile ordinaire. Faisons actuellement quelques réflexions sur les abus de la fabrication de cette huile.

I. Sur les pressoirs. Chacun vante la force expressive du pressoir de son canton, soit parce qu’il n’en connoît pas de meilleurs, ou plutôt parce que les premières idées reçues, dans l’enfance, de la forme de ces pressoirs, sont difficiles à déraciner chez les personnes naturellement faites pour réfléchir, & pour ne pas se laisser subjuguer par les préjugés.

Voyons si cette prétendue énergie tiendra contre un point de fait de la dernière évidence. On a établi en divers endroits de la Provence, du Languedoc, des moulins de recensse, dont je parlerai bientôt ; ils sont uniquement destinés à repasser le marc vulgairement appelé grignon ; & on sera étonné de la quantité d’huile qu’on en retire. Il est donc clair qu’il reste beaucoup d’huile ; & par une autre conséquence aussi naturelle, il est plus clair encore que la pâte a été mal pressée, 1°. parce que l’olive n’a pas été assez triturée au moulin ; 2°. parce qu’il n’y a pas eu assez d’inter-