Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1784, tome 5.djvu/603

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vous en convaincre. Prenez une très-petite goutte d’huile essentielle, d’essence de lavande, par exemple, de citron, &c. ; jettez-la dans une bouteille pleine d’huile nouvellement faite, agitez, sentez, goûtez tout de suite ; laissez-la reposer pendant quelques jours, & vous verrez après, sur-tout s’il fait chaud, avec quelle énergie cette parcelle aura agi sur la masse. Je ne connois qu’un seul expédient capable de prévenir cet abus, c’est d’avoir à soi des outres ou des futailles qu’on aura fait laver avec les précautions indiquées. À mesure que le maître ouvrier lèvera l’huile, il les remplira, & même ne se servira pas de sa mesure en cuivre, mais du vase qu’on lui fournira ; car cette mesure est aussi infectée que les outres. On ne doit jamais perdre de vue que les huiles sont peut-être de tous les fluides, les plus susceptibles de s’approprier les mauvais goûts & les mauvaises odeurs.

Lorsque l’huile est portée au domicile du propriétaire, elle doit être tenue, au moins pendant quinze à vingt jours, dans un lieu dont la température soit de quinze à dix-huit degrés du thermomètre de Réaumur, afin que les parties hétérogènes aient le temps de se précipiter. Si l’on veut hâter cette précipitation, il faut ajouter de l’eau dans laquelle on aura fait dissoudre de l’alun, & la bien agiter avec l’huile. Comme ce sel n’est pas miscible ou soluble avec lui, il l’abandonne, s’attache au mucilage, le rend spécifiquement plus pesant ; & par conséquent, le précipite plus promptement qu’il ne l’auroit été par le repos.

J’ai demandé que la température du lieu fût de quinze à dix-huit degrés, afin que l’huile ne se coagulât pas promptement, & qu’elle eût le temps de déposer avant de cristalliser, ou autrement dit, de figer. Si le froid la saisit trop promptement, la précipitation est incomplette, & l’opération est manquée. Pour travailler avec facilité, il convient d’avoir un nombre de vaisseaux en bois, & non en cuivre ou en plomb, &c., tels que ceux destinés à transporter la vendange de la vigne au pressoir, bien propres, bien lavés, & même passés au vinaigre ; ou bien des barriques garnies de faussets à différentes hauteurs. À mesure que le mucilage se précipite, la partie supérieure de l’huile devient claire, limpide, dépouillée, la couche en dessous plus épaisse, & successivement de couche en couche jusqu’au dépôt ; alors on lève légèrement cette couche supérieure, & c’est toujours l’huile la meilleure, la plus fine & la plus délicate, & on la met en réserve, comme l’huile de la première qualité. Si elle est contenue dans des barriques, on ouvre le fausset supérieur, & on reçoit dans un vase l’huile qui coule. Quelques jours après, on lève la nouvelle couche éclaircie, qui forme l’huile de qualité seconde, & ainsi de suite jusqu’au dépôt. Ce dépôt n’est point à rejetter ; on le met à part dans des vaisseaux de terre vernissée, ou dans des jarres, & on les porte dans un lieu chaud, par exemple, au coin de la cheminée de la cuisine, ou encore mieux sur un four, à l’endroit nommé gloriette par les boulangers. Là, par une longue digestion, le marc lâche les parties huileuses &