Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le voisinage : changeant d’écurie, il retrouve le même climat & la même nourriture. On dit que les bœufs ne réussissent pas dans nos provinces méridionales ; c’est une erreur : il y fait moins chaud qu’au Pérou, qu’au Brésil, qu’au Cap de Bonne-Espérance, où ces animaux ont si bien réussi. Il suffit de les faire boire trois fois par jour, & de les tenir à l’orge ou à l’avoine verte pendant deux semaines au printems. La cherté des chevaux & des mules commence à forcer les cultivateurs à revenir à la culture exécutée par les bœufs, ainsi qu’elle l’a été autrefois dans tout le royaume, sans exception d’aucune de ses provinces. C’est un point de fait qu’on ne sauroit nier.

Un auteur, très-estimable dans son ouvrage intitulé : Manuel d’Agriculture pour le Laboureur, dit : « Il y a une raison qui rend le cheval préférable au bœuf, c’est que, pour une charrue, il ne faut qu’un attelage de chevaux ; au lieu qu’il en faut deux de bœufs, dont l’un soit pour le travail de matinée, & l’autre pour celui de l’après-midi, toujours ainsi alternativement, afin que l’un des deux se repose : autrement le même attelage qui ne discontinueroit pas son travail, iroit extrêmement lentement, ce qui obligeroit d’en avoir deux pour bien faire aller une charrue ».

Je ne nie pas que cette méthode existe dans certains cantons du royaume, puisque M. de la Salle de l’Etang en fait mention ; mais quoique j’aie parcouru presque l’étendue du royaume dans tous ses points, j’ose avancer que je ne l’ai vu suivie nulle part, & que par-tout les mêmes bœufs travaillent trois à quatre heures dans la matinée, suivant la saison, & autant dans l’après-midi. On ne les feroit travailler qu’une heure par jour, qu’ils n’en iront pas plus vite, & qu’ils marcheront toujours du même pas auquel leurs premiers conducteurs les auront accoutumés.

Il est bien démontré à mes yeux, & par ma propre expérience, que la dépense, soit pour l’entretien, soit pour la nourriture de deux paires de chevaux, équivaut, à très-peu de chose près, à celle de quatre paires de bœufs, & beaucoup au-delà à celle de trois paires ; sur-tout si l’on compte l’intérêt de la mise d’argent pour l’achat, & si l’on y ajoute la perte & la non-valeur que le temps amène sur le prix des chevaux, à mesure qu’ils vieillissent. Les bœufs au contraire, hors de service, sont mis à l’engrais, & on les vend ensuite presqu’aussi cher qu’ils ont coûté. Je ne crois pas qu’on puisse nier ces points de fait. Admettons actuellement que le travail de deux paires de chevaux égale celui de trois paires de bœufs, à cause de leur lenteur, il n’en sera pas moins vrai que le travail aura moins coûté, & qu’il sera mieux, & plus solidement, & plus profondément fait. Je demande encore de quel côté doit pencher la balance ? sur-tout si l’habitude & le préjugé n’ont aucune part dans la décision.

Les bœufs sont attaqués par les épizooties (Voyez ce mot), & souvent ces terribles maladies enlèvent tout le bétail d’un canton & d’une province. Telle est la seconde objection que l’on fait contre l’usage des bœufs. La clavettée ou petite-vérole, ou picotte, n’est-elle pas une maladie contagieuse pour les troupeaux ?