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différentes dans les mêmes années ; mais il faut avoir un jardinier intelligent qui sache saisir le moment. Cette classe d’hommes a une routine très-bonne en elle-même, & sait que le jour de la fête de tel saint, il convient de semer telle & telle espèce. Si la saison est dérangée, ses plantes montent en graine, ou ne réussissent point, il rejette la faute sur la qualité de la graine, tandis que cela tient à la constitution de la saison qui ne s’accordoit pas avec son calendrier. Ce fait prouve encore combien les époques générales que l’on prescrit sont abusives.

Le particulier riche croit faire des merveilles d’appeler chez lui des jardiniers instruits auprès des grandes villes, sur-tout si elles sont éloignées de son canton. Cet habile homme sur lequel il fonde ses espérances, sera pendant les deux premières années très-inférieur aux jardiniers les plus communs du pays, parce qu’il n’en connoît point le climat ; mais s’il a de l’intelligence, s’il sait observer & raisonner la méthode du pays, à coup sur il la perfectionnera dans la suite.

Ce seroit perdre ici son temps de présenter un tableau semblable au précédent, pour indiquer les époques auxquelles on doit transplanter les semis, cueillir les graines, serfouir, enterrer les plantes à blanchir &c. &c. Tous ces objets dépendent du climat, je le répète, on transplante lorsque le semis est assez fort, on travaille le pied des plantes, on les sarcle autant de fois qu’elles en ont besoin ; on récolte la graine quand elle est mûre, on fait blanchir les cardons, les chicorées, lorsque les pieds sont assez forts &c. &c. Il ne faut que des yeux pour juger ; les préceptes sont abusifs, & l’Auteur fait parade d’une vaine & inutile érudition, à moins qu’il n’écrive pour un très-petit canton ; s’il généralise, tout est perdu.

CHAPITRE II.

Des Jardins fruitiers.

Le règne de Louis XIV fut l’époque de la perfection des arts en France, comme celui de François I de la renaissance des lettres. L’art des jardins fruitiers prit une nouvelle forme. Laquintinie parut, & les arbres autrefois livrés à eux-mêmes, couvrirent de leurs branches, de leurs feuilles, de leurs fleurs & de leurs fruits, la nudité & la rusticité des murs. Enfin dans ses mains l’arbre prit la forme d’un espalier, d’un éventail & d’un buisson. Ce grand homme opéra une révolution presque aussi entière dans la culture du légumier.

Pendant que la France & l’Europe entière admiroient & adoptoient les méthodes de M. Laquintinie, & qu’on s’extasioit à la vue de ses espaliers, de simples particuliers, conduits par le génie de l’observation & de l’expérience, perfectionnoient à petit bruit, ou plutôt presqu’ignorés, la théorie de la taille des arbres. Enfin après des travaux soutenus pendant près d’un siécle, on a commencé à se douter que les seuls habitans du village de Montreuil (Voyez ce mot) avoient découvert le secret de la nature. Ce n’est que depuis quelques années que la vérité gagne de proche en proche. Il faudra bien du temps pour que la révolution soit générale & complette ; on tient à ses anciens préjugés ; on les caresse & il est diffi-