Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1785, tome 6.djvu/80

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rience leur a cependant appris que la grandeur apparente des objets diminue, & que leurs couleurs s’affoiblissent à mesure qu’ils s’éloignent de l’œil du spectateur. Ces observations ont donné lieu à un artifice qu’ils mettent en pratique. Ils font des vues en perspective, en introduisant des bâtimens, des vaisseaux & d’autres objets diminués à proportion de la distance du point de vue : pour rendre l’illusion plus frappante, ils donnent des routes grisâtres aux parties éloignées de la composition, & ils plantent dans le lointain des arbres d’une couleur moins vive, & d’une hauteur plus petite que ceux qui paraissent sur le devant : de cette manière, ce qui en soi-même est borné & peu considérable, devient en apparence grand & étendu.

» Ordinairement les Chinois évitent les lignes droites, mais ils ne les rejettent pas toujours. Ils pratiquent quelquefois des avenues, lorsqu’ils ont quelqu’objet intéressant à mettre en vue. Les chemins sont constamment taillés en ligne droite, à moins que l’inégalité du terrein ou quelqu’obstacle ne fournisse au moins un prétexte pour agir autrement. Lorsque le terrein est entièrement uni, il leur paroît absurde de faire une route qui serpente : car, disent-ils, c’est ou l’art ou le passage constant des voyageurs qui l’a faite, &, dans l’un ou l’autre cas, il n’est pas naturel de supposer que les hommes voulussent choisir la ligne courbe, quand ils peuvent aller par la droite. »

» Ce que les Anglois nomment clump, c’est-à-dire peloton d’arbres, n’est point inconnu aux Chinois, mais ils le mettent rarement en œuvre ; jamais ils n’en occupent tout le terrein. Leurs jardiniers considèrent un jardin comme nos peintres considèrent un tableau, & les premiers groupent leurs arbres de la même manière que les derniers groupent leurs figures, les uns & les autres ayant leurs masses principales & secondaires. »

Tel est le précis, continue l’auteur, de ce que m’ont appris, pendant mon séjour en Chine, en partie mes propres observations, mais principalement les leçons de Lepqua, & l’on peut conclure de ce qui vient d’être dit, que l’art de distribuer les jardins dans le goût chinois, est extrêmement difficile, & tout-à-fait impraticable aux gens qui n’ont que des talens bornés. Quoique les préceptes en soient simples, & qu’ils se présentent naturellement à l’esprit, leur exécution demande du génie, du jugement & de l’expérience, une imagination forte, & une connoissance parfaite de l’esprit humain, cette méthode n’étant assujettie à aucune règle fixe, mais susceptible d’autant de variations qu’il y a d’arrangemens différens dans les ouvrages de la création.

On ne sauroit fixer l’époque ni l’origine de ces jardins, elle paroît fort ancienne en Chine, & les premiers papiers peints, apportés de ces contrées, ont sans doute fait imaginer de les imiter en Europe. On lit, dans le recueil des lettres édifiantes des missionnaires de Chine, & sur-tout dans celles du F. Attiret, jésuite & peintre de l’Empereur, des détails fort intéressans ; mais ce qu’on vient de dire suffit pour donner une idée assez exacte de la composition de ces jardins.