Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1786, tome 7.djvu/379

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poids, a augmenté aussi d’un tiers, au moins du côté de l’effet nutritif, ce qui doit servir à compenser les soins que demande le pain. L’art de le préparer eut des commencemens fort grossiers, ainsi que toutes les inventions humaines ; jetons un coup d’œil rapide sur toutes ces nuances.

L’opinion la plus généralement adoptée, c’est qu’on commença à manger les grains entiers & cruds à l’instar des autres végétaux ; on les ramollit ensuite dans l’eau par la cuisson, & on en fit usage comme on fait du riz ; mais leur viscosité & leur fadeur, dans cet état, engagèrent à les soumettre à une torréfaction préalable qui les rendît & plus légers & plus sapides : c’étoit déjà quelque chose ; le broiement des dents, le mélange de la salive n’en furent pas moins nécessaires ; on a pensé aux pilons & aux meules ; les grains perdirent alors l’écorce dont ils sont revêtus. Plus purs & plus divisés, ils servirent à former les gruaux, les bouillies, les pâtes, les galettes, toutes formes qui soulagèrent les instrumens de la mastication ; mais l’industrie se perfectionnant à mesure que la frugalité des premiers peuples disparoissoit, on entreprit quelques recherches pour améliorer ces diverses préparations du blé qui, quoique déformé, combiné avec l’eau & cuit, n’offroit pas encore un aliment ni assez commode, ni assez durable, ni assez ragoûtant pour remplir toutes ces vues ; peut-être un morceau de pâte, oublié ou égaré, qu’une bonne ménagère n’aura pas voulu perdre, ayant été mis au four quelques jours après sa préparation, a présenté une galette plus sapide & plus légère que la bouillie, & a conduit naturellement à l’idée du levain.

Que nous soyons redevables au hasard de la découverte du secret important de faire prendre à la pâte un mouvement intestin renouvelé sans cesse par la fermentation, & sans cesse arrêté par la cuisson ; ou que nous y ayons été amenés insensiblement par le raisonnement & l’observation, peu importe, c’est toujours depuis l’époque de cette découverte que l’homme peut se flatter de jouir de tous les avantages que le blé est en état de procurer à ses premiers besoins, & c’est à ce temps qu’il faut fixer la connoissance du pain levé dont l’existence est, chez quelques peuples, d’une date fort ancienne, puisque Moyse remarque que les égyptiens avoient tellement pressé les Israélites de partir, qu’il ne leur avoit pas laissé le temps de mettre le levain dans la pâte. Les égyptiens frappés des bonnes qualités du pain, semblent être les premiers qui aient érigé sa fabrication en art ; il fut cultivé avec succès dans la Grèce, & perfectionné par les Romains qui abandonnèrent l’usage de manger les farineux sous la forme de bouillie dont ils étoient amateurs passionnés, pour ne plus se nourrir que de pain. La réputation de cet aliment se répandit, & devint le goût dominant, non-seulement de l’Europe entière, mais de beaucoup de contrées des autres parties du monde. On lui rend hommage dans tous les pays où les grains qui en tiennent lieu, ne sauroient prendre sa forme, en le servant sur les tables comme un mets délicat & de sensualité, soit en rapprochant ces grains de la nature de notre aliment. Enfin, le pain ainsi que le blé sont connus de tous les peuples industrieux & culti-