Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/194

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ne soit trouvée trop considérable par tous ceux qui n’ont pas bien observé la croissance de ces arbres, surtout la pratique générale de la plupart des jardiniers étant de ne leur donner tout au plus que la moitié de cet espace ; mais si l’on veut se donner la peine d’examiner quelques-uns de ces arbres plantés depuis quelques années, on observera toujours que si par hasard il s’en trouve un dont les branches aient assez de place pour s’étendre, il produit plus de fruit que douze autres dont la croissance est gênée, faute d’un espace suffisant. J’ai vu des poiriers de plus de 50 pieds de largeur sur plus de 20 pieds de hauteur, qui donnoient beaucoup plus de fruits que n’en pourroient produire trois autres arbres semblables, plantés dans le même espace, ce dont il y a assez d’exemples : car on voit très-souvent des arbres plantés contre des maisons & aux extrémités des bâtimens, à douze pieds environ de distance & quelquefois moins parce qu’il y a une hauteur considérable de mur, où leurs branches peuvent être palissées, raison que nous donnent ordinairement ceux qui les plantent aussi près les uns des autres ; mais ils ne font pas attention qu’un arbre produira plus de fruit quand ses branches seront palissées horizontalement que trois ou quatre autres dont les branches seront perpendiculaires. On ne doit pas craindre que le haut du mur reste nu & dégarni ; car j’ai vu un poirier dont les branches embrasoient un espace de plus de 50 pieds & qui couvroient une muraille de plus de 36 pieds de hauteur. Cet arbre étoit un bon-chrétien extrêmement fructueux ; ce qui arrive très-rarement à cette espèce de poirier quand on ne lui laisse pas beaucoup de place. Le plus beau de cette espèce que j’aye jamais vu, étoit un grand arbre à plein vent ; sa tige avoit plus de dix pieds de hauteur, ses branches sortoient régulièrement de chaque côté & s’étendoient à près de 30 pieds du tronc, plusieurs penchoient jusqu’à terre en été à cause de la pesanteur du fruit, de manière qu’on étoit obligé de les soutenir avec des étoffes tout autour, pour les empêcher de se briser. Les branches de cet arbre étoient disposées de manière qu’elles formoient une parabole régulière de 40 pieds de hauteur, & qu’elles produiroient des fruits depuis le bas jusqu’en haut ; de sorte que dans une bonne saison, lorsque les fleurs avoient échappé à la gelée, on recueilloit dessus plus de deux mille poires, bien préférables pour le goût à toutes celles que j’avois goûtées jusqu’alors. Je ne rapporte cet exemple que pour faire voir combien cet arbre peut s’étendre quand on lui laisse tout l’espace qui est nécessaire, & pour faire remarquer que les branches de cet arbre qui n’avoient jamais été raccourcies, étoient néanmoins chargées de fruit jusqu’à leur extrémité. »

» Cela prouve encore combien est absurde la méthode des jardiniers françois, qui ne donnent pas plus de dix & douze pieds de distance à ces arbres, & celle sur-tout de leurs plus savans écrivains sur cette matière, qui ont conseillé de planter un pommier entre les poiriers, quand on laisse entre eux un espace de 12 pieds. Cependant, comme ces mêmes auteurs disent ensuite, qu’un bon poirier croît de trois pieds chaque