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pendant quinze jours ou un mois, suivant les circonstances, afin que l’embryon ait le temps d’être couvé, si je puis m’exprimer ainsi, & de se métamorphoser par progression en graine parfaite. Aussitôt après, la plante meurt. La formation & la perfection de la semence sont donc le grand œuvre de la nature ; mais cette perfection donne la mort aux plantes annuelles, & épuise les plantes vivaces, jusqu’à ce qu’après un certain temps elles réparent leurs pertes & acquièrent de nouvelles forces. C’est précisément ce qui arrive aux graminées après la fauchaison lorsqu’on les a laissé mûrir.

Au contraire, la plante coupée au moment de la fleuraison n’éprouve pas ce délabrement ; elle languit, il est vrai, pendant quelques jours ; mais peu à peu elle reprend vigueur, & se hâte de réparer sa perte. Un exemple va le prouver. Voulez-vous faire subsister pendant deux ans une plante annuelle, ne la laissez pas fleurir. Voulez-vous qu’une plante annuelle prolonge de beaucoup son existence pendant la saison, coupez chaque fleur un moment avant sa fécondation. Voulez-vous qu’une fleur pendant plusieurs jours fasse l’ornement de votre parterre, supprimez toutes les parties sexuelles mâles avant que leurs étamines aient fécondé les parties femelles. Une fleur qui n’auroit duré qu’un jour, conservera son éclat pendant trois ou quatre. C’est la raison pour laquelle les fleurs doubles & triples des œillets, des renoncules, des anémones, &c. brillent pendant des semaines entières. Leurs parties sexuelles se sont métamorphosées en pétales ou feuilles de la fleur ; dès lors il n’y a point eu de fécondation ; & comme, dans ce genre, de telles fleurs sont des monstres, il importe peu à la nature qu’elles subsistent plus longtemps ; mais aussitôt que les fleurs des plantes annuelles sont passées, les feuilles se pressent & se hâtent de se dessécher plus promptement que dans les plantes de la même espèce à fleurs simples. Les feuilles des plantes vivaces & à fleurs doubles sont peu fatiguées par la fleuraison, parce qu’il n’y a point eu de fécondation.

Tous ces faits prouvent que la plante vivace que l’on ne laisse pas grainer, souffre peu ; dès-lors l’herbe de la prairie repoussera plutôt, & elle poussera en plus grande abondance, parce que ses forces ne sont pas abattues, & ses principes ne sont pas autant épuisés ; dès lors le second foin vaudra beaucoup mieux que le premier. La luzerne en fournit la preuve. La seconde coupe est à tous égards préférable à la première ; & quand même celle du foin seroit inférieure à la première, elle sera bien meilleure, quant à l’abondance & à la qualité, que celles des prairies fauchées lorsque la graine est mûre ou qu’elle approche de sa maturité.

Si l’année est bonne, on est en droit d’attendre une troisième coupe, très-inférieure, il est vrai, aux deux premières, cependant pas si inférieure dans les provinces peu méridionales, parce que la chaleur y est plus forte.

D’après cet exposé, il est naturel de conclure qu’on a le plus grand tort de ne pas faucher les prairies lorsque l’herbe est en pleine fleur ; & que si on attend plus long-temps,