Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plupart des habitans en redoutent le voisinage ; parce qu’au moment où l’on s’y attend le moins, elle s’introduit dans les jardins & dans les pièces de cannes à sucre où l’on a beaucoup de peine à la détruire ; mais cet inconvénient même seroit pour notre objet une des qualités essentielles de cette plante ».

» Si les anglois, très-grands cultivateurs & très-éclairés sur leurs propres intérêts, ont dit que les turneps ou gros navets du Limosin, de l’Auvergne, &c., étoit l’acquisition la plus précieuse que la Grande-Bretagne eût faite depuis deux siècles, ; à combien plus forte raison n’auroient ils pas dû le dire de l’herbe de Guinée, qui leur a été d’une si grande utilité à la Nouvelle-Angleterre, & qui l’est encore d’une plus grande à la Jamaïque, qui doit à ce fourrage le seul avantage qu’elle ait eu jusqu’à cette heure sur l’île de Saint-Domingue, sa rivale & sa voisine. En effet, qui ne sait que les marins anglois de ces parages n’ont d’autre ressource que cette herbe sèche pour nourrir leurs bœufs, leurs chevaux, leurs mulets, dans la traversée qu’ils font d’une île dans une autre, & même dans les voyages de long cours. C’est même aux excellentes qualités de ce fourrage, que leurs animaux & surtout leurs bœufs l’emportent sur ceux de Saint-Domingue, dont la viande est si mauvaise qu’à peine les nègres veulent s’en nourrir, tandis que celle des boucheries de la Jamaïque, où l’on ne nourrit les bœufs venus de l’espagnol, que d’herbe de Guinée, est aussi bonne & aussi délicate qu’à Paris même ».

» Tels sont les avantages que les anglois retirent depuis long-temps de cette excellente plante dans les îles d’Amérique, & que nous en retirerons à notre tour dans les nôtres, pour peu que le gouvernement en encourage la culture ; puisque tous les anciens habitans de Saint-Domingue, que j’ai consultés sur ce sujet, m’ont tous assuré que c’étoit déjà le meilleur de tous les fourrages, qu’une seule poignée de cette herbe profitoit plus aux animaux que trois poignées de tout autre fourrage, sans excepter le petit mil & le maïs qui tiennent lieu d’avoine dans ce pays-là ».

» Qui sait même si par le moyen de ce simple herbage, on ne viendroit pas dès-à-présent à bout d’établir dans nos provinces méridionales, en attendant qu’on puisse le faire dans les septentrionales, des haras qui fourniroient une espèce de chevaux moins sujets à maladie, & supérieurs en tout à ceux qu’on a connus jusqu’ici en Europe. Cette vérité est reconnue par tous les officiers françois qui ont séjourné dans nos îles pendant la dernière guerre. On a vu, au moment qu’on s’y attendoit le moins, des chevaux franchir les haies qui entouroient les pièces dé terre semées de cette herbe, tant ils en sont avides, & sur-tout des graines qu’elle fournit en grande quantité ».

» Quoi qu’il en soit, il y avoit déjà long-temps que je me proposois de faire partagera ma patrie les grands avantages que les anglois retirent de ce précieux fourrage, lorsqu’à mon arrivée des îles, il y a deux ans, je fus témoin… de la disette affreuse qu’on éprouva en France de cette denrée ; mais il étoit question de savoir si cette plante, originaire des climats brûlans d’Afrique, pourroit