Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/521

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quantité d’eau, dont l’odeur est quelquefois forte & désagréable ; mais comme le tissu de la vessie ne permet pas à l’eau de la pluie ou de la rosée de pénétrer dans l’intérieur, il faut conclure que cette eau est due à la surabondance des sucs nourriciers qui s’y rassemblent & ne peuvent plus entrer dans le torrent de la circulation.

Au reste, ce que j’ai dit sur la formation des vessies des ormes, doit s’appliquer aux autres excroissances ou altérations que les pucerons produisent dans les plantes. Elles sont toutes l’effet de cette loi du mouvement, que les corps, sur-tout les fluides, se portent où ils sont le moins pressés ; aussi ces insectes ne couvrent-ils qu’un des côtés d’une tige ou d’une feuille, & ce sera de ce côté que cette tige ou cette feuille se courbera, pourvu néanmoins qu’elle ait assez de souplesse pour se prêter à l’impression qui lui est communiquée : de même, s’ils s’établissent près des bords d’une feuille, & ce qui est ordinaire, dessous, la feuille se gonflera & se recourbera dans ce sens : s’ils s’établissent, au contraire, vers le milieu, ils occasionneront la production de diverses tumeurs, plus ou moins larges, ou plus ou moins élevées suivant que les piqûres auront été dirigées, ou suivant l’état de la partie sur laquelle l’action des trompes se fait sentir.

Les pucerons, comme tous les animaux qui multiplient beaucoup, ont des ennemis sans cesse occupés à les détruire. J’ai indiqué ce petit ver qui se nourrit dans leur intérieur, & les fait mourir insensiblement ; quantité d’autres insectes naissent leurs ennemis déclarés & leur font la guerre la plus cruelle. Nous semons des grains pour fournir à notre subsistance ; il semble que la nature sème des pucerons sur toutes les espèces d’arbres & de plantes, pour nourrir une multitude d’insectes différens.

Les mange-pucerons de la première classe, sont sur-tout remarquables par la forme de leur tête & par leur voracité. La tête des animaux qui nous sont les plus familiers a une forme constante, celle de nos vers en change presqu’à chaque instant : on la voit s’alonger, se raccourcir, s’arrondir, s’aplatir, se contourner tantôt dans un sens & tantôt dans un autre, & cela avec une promptitude étonnante. On juge que pour exécuter des mouvemens si prompts & si variés, cette tête ne doit pas être osseuse ou écailleuse, comme l’est celle des grands animaux & de la plupart des insectes ; mais qu’elle doit être formée de chairs extrêmement flexibles ; & cela est ainsi. Il n’est peut-être dans la nature aucun animal carnassier qui chasse avec plus d’avantage que cet insecte ; couché sur une tige ou sur une feuille, il est environné de toutes parts des insectes dont il se nourrit ; les pucerons ne cherchent point à fuir, ils sont même incapables de faire la moindre résistance : dès que son trident a touché une de ces malheureuses victimes, il lui est impossible d’échapper ; il l’élève en l’air, & après l’avoir fait passer sous ses premiers anneaux, de façon qu’elle disparoît presqu’entièrement, il en tire le suc & la réduit en moins d’une minute à n’être qu’une peau lèche ; 20 à 30 pucerons suffisent à peine pour fournir à un de ses repas ; & les siens sont