Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1789, tome 8.djvu/569

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

simples chevelus qu’elles produiront ; mais si ces racines trouvent, ainsi qu’il a été dit plus haut, un banc de pierre, une couche de terre dure & imperméable, ces racines abandonneront la direction presque perpendiculaire, pour prendre l’horizontale, & reprendre ensuite la perpendiculaire, s’il est possible ; mais lorsque le pivot a été supprimé & les racines du second ordre mutilées, l’arbre ne jette plus que des racines latérales, & c’est la raison pour laquelle les mûriers, les noyers & les ormeaux plantés le long des grandes routes, vont affamer dans les champs la substance des moissons à plus de dix toises de distance. Ainsi ce que la totalité des racines n’a pu prendre en profondeur, il faut de toute nécessité qu’elle l’acquiert en surface & en longueur entre deux terres.

La loi de la nature prescrit aux racines le même développement qu’aux branches. Qui voit un beau noyer étendre majestueusement ses branches, & couvrir un diamètre de 80 à 100 pieds, doit se dire : Les racines de cet arbre sont proportionnées au volume & à l’étendue des branches ; il doit y avoir un équilibre parfait entr’elles ; si un accident fait périr une mère racine, tout l’arbre se ressent de cette perte, jusqu’à ce que le dommage soit réparé par un nouveau travail des racines… Il n’en est pas ainsi, par exemple, lorsqu’on couronne un arbre ou lorsqu’on ravale ses branches, les racines ne souffrent pas de cette soustraction supérieure, parce que les nouveaux jets seront si forts & si vigoureux, qu’ils ramèneront bientôt cet équilibre si nécessaire. Mais si on continue sans cesse à raccourcir les branches, à les tondre comme les ormeaux & les mûriers taillés en tête d’oranger, il arrive que rompant l’équilibre supérieur, & continuant à le rompre, la grande extension des racines devient inutile, & peu à peu il n’en reste plus que ce qu’il faut pour conserver l’équilibre entre la tête de l’arbre & ses racines. C’est un fait dont il est très-facile de s’assurer, en prenant le tronc avec la main, & en cherchant à l’ébranler ; on voit qu’on l’arracheroit de terre sans peine… C’est par la même raison que l’oranger, le laurier-rose, &c., plantés dans des pots ou dans des caisses, n’ont que des chevelus & non des mères racines. Elles deviennent inutiles à la végétation de l’arbre, & les chevelus tapissent l’intérieur des pots comme de la filasse que l’on appliqueroit contre. Ici, & dans tous les arbres taillés en boule, les chevelus tiennent lieu de mères racines, les suppléent en raison des besoins de l’arbre.

D’après cela, que doit-on conclure de la méthode barbare de beaucoup de particuliers qui croient maîtriser un arbre greffé sur franc & en espalier, en lui coupant ou en perçant une de ses grosses racines. L’arbre, il est vrai, souffre & se ressent de cette cruelle opération, quelquefois-même il en meurt ; mais lorsqu’il reprendra ses forces, il ne poussera pas moins des gourmands, pas moins de bois qui paroissent inutiles, parce qu’on ne fait pas les étendre & en profiter. C’est un abus criant de gêner les racines, à moins qu’elles ne gagnent dans un jardin potager ; elles ne lui auroient pas nui, si l’arbre avoit été planté avec son pivot.