Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/166

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trouve tapi dans des encoignures, dans l’embrasure des fenêtres, entre les volets brisés, sous les lits, courant le long des murs ; il se plaît davantage dans les lieux bas & voûtés, dans les jardins, sous les pots à fleurs, entre les pierres, dans les décombres ; il supporte long-temps la faim ; & il faut très-peu de chose pour le rassasier ; quelques petits insectes ou des moucherons, des cloportes lui suffisent sans doute ; j’en ai vu manger des individus de leur propre espèce & leurs petits, & ce repas affreux est plus long, plus savouré que celui d’un apicias. Un scorpion restera des heures entières immobile, dans la même attitude, comme s’il étoit cataleptique ; il remuera par fois une patte ou deux, ou les quatre, d’un côté seulement, sans remuer celles de l’autre côté ; il replie sa queue sur le dos ou à côté de son corps, & l’aiguillon sur la queue ; tantôt la tête ou la queue en bas, il reste assoupi, on le croiroit mort ; tout-à-coup il s’épanouit, étend ses bras, ouvre ses pinces, court avec l’agilité d’un insecte qui a huit longues pattes avec des articulations très-mobiles. Le scorpion est vivipare.

« Pour un être condamné à vivre dans l’obscurité, la nature l’a bien avantageusement partagé en lui donnant huit yeux ; mais quel funeste présent que de le pourvoir d’une arme cruelle & d’un poison subtil, avec lequel il fait sans doute un grand nombre de victimes.

« Il est surprenant qu’un insecte, qui vit dans les lieux frais & humides, périsse par le simple contact immédiat de l’eau sans être pourtant noyé ; un crachat suffit pour lui donner la mort, s’il est obligé de se vautrer dedans sans pouvoir s’en débarrasser ; de là l’origine de la tradition, qui dit que la salive de l’homme tue le scorpion : l’eau la plus simple produit le même effet. On dit encore que si on entoure un scorpion d’un cercle de charbons allumés, il se pique & meurt de sa blessure ; le fait est faux. Dans ce moment cruel, trouvant par-tout une barrière de feu, il s’irrite, il redresse sa queue & la recourbe sur son dos, il menace de tous côtés, il agite son aiguillon & ne se pique point ; il périt consumé par l’ardeur du brasier.

« Le peuple de Provence & de Languedoc se fait un jeu de provoquer les scorpions contre différentes sortes d’animaux. Les uns en sont mal affectés, & les autres n’en éprouvent rien de fâcheux ; ce que l’on doit sans doute attribuer à la constitution de l’animal piqué & a d’autres circonstances ou se trouve le scorpion ; comme lorsqu’il est affamé, si c’est le temps de son rut, s’il a épuisé son venin à d’autres combats, si c’est dans une saison plus ou moins chaude, dans un climat qui favorise ou ralentisse l’action de son venin ; enfin, s’il est libre ou dans la captivité, & si c’est le pur besoin qui le porte à piquer, ou s’il est irrité ou sur la défensive. Tantôt on le fait combattre contre de grosses araignées, des guêpes, des limaces, des grenouilles, de petits lézards de muraille, scorpion contre scorpion ; le vaincu est dévoré par le vainqueur, excepté quand ils sont de force égale. Le combat de la souris & du scorpion est le plus amusant & le plus instructif ; le petit quadrupède, en vigoureux athlète, se précipite