Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/175

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les grains sont alors petits, maigres, retraits, enfin de qualité très-inférieure.

Les seigles marsais ou trémois sont inconnus dans la majeure partie du royaume ; c’est dans les pays des montagnes qu’ils sont plus en usage, & leur récolte, quoique favorisée par le climat, est presque toujours médiocre : il en est ainsi par-tout du froment trémois, sur dix années, on en compte une bonne. La perfection de la plante, tient au temps qu’elle met à végéter & à couver sa graine ; tout ce qui est trop-précipité contrarie les loix de la nature, & ce n’est jamais impunément.

J’ai dit que je ne connoissois pas de meilleur laboureur que la gelée ; en voici la preuve : les hivers de 1775 à 1776, de 1788 à 1789 sont les deux hivers les plus rigoureux dont, de mémoire d’homme, l’on se souvienne ; ils ont été plus froids même que celui de 1709, qui fut désastreux à cause des gels & dégels successifs & coup sur coup. Cependant, généralement parlant, la récolte de seigle a été superbe dans tout le royaume, quoiqu’elle ait été contrariée à plusieurs époques du printemps & de l’été. Son abondance a été la suite du grand froid ; la gelée a pénétré la terre presque par-tout à 12 & 15 pouces de profondeur. Or l’effet de l’eau glacée est d’occuper plus d’espace que dans son état de fluidité ; mais comme cette eau est interposée entre chaque molécule de terre, elle les soulève, les sépare des molécules voisines, & les divise mieux que ne feroient jamais les charrues ni la bêche : ainsi la totalité de la terre reste soulevée & divisée aussi profondément que la gelée a pénétré. Des que le froid cesse, la végétation se ranime, les racines s’étendent ; alors, trouvant un sol bien meublé, elles se hâtent de pivoter, d’aller au loin chercher la nourriture, & elles la communiquent au reste de la plante. Si la terre est couverte de neige, lorsque le dégel survient, cette neige, en fondant, rend au sol l’air fixe qu’elle a retenu, & qu’elle s’est approprié à mesure qu’il s’échappoit de la terre. Ainsi, dans la circonstance présente, tout a concouru à bonifier la végétation de la plante & à doubler sa force. Il est donc indispensable que la récolte soit abondante, & il faut de grands obstacles de la part des saisons, pour qu’elle ne vienne pas à bien. Malgré ces avantages, on peut dire cependant que l’époque de la fleuraison est vraiment ce qui détermine le plus ou le moins de récolte ; mais si cette époque est heureuse, & qu’elle ait été devancée par les circonstances dont il s’agit, on est assuré d’une récolte des plus abondantes. C’est ce qui arriva à tous les grains semés après le fâcheux hiver, de 1709, & à tous les blés hivernaux & printaniers de 1789. Plus la terre est forte, compacte, & même argileuse, & plus l’effet du froid est sensible, si cette terre est humide. En effet, malgré les pluies du printemps, assez abondantes dans la majeure partie du royaume, la terre se trouvoit encore soulevée en juin, au point qu’on la béchoit presque avec la même facilité que le sable, tant elle restoit émiettée, quoique de sa nature elle fût compacte. Je cite ces observations aux cultivateurs, afin de les engager de donner deux forts labours croisés avant l’hiver ; & si la