Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/182

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tances est-il capable de les produire ?

Tous les exemples anciennement ou nouvellement cités de la maladie épidémique dont il s’agit, prouvent qu’elle n’a eu lieu qu’après les années de cherté & de disette, où le peuple manquant de pain, s’est jeté avec avidité & a consommé les blés nouveaux avant qu’ils eussent perdu, par la dessiccation, leur eau de végétation. Personne n’ignore ou ne doit ignorer, que les seigles, & même les fromens les plus sains, lorsqu’ils sont trop nouveaux & soumis à la panification, déterminent de très-grandes maladies, & qu’elles attaquent un très-grand nombre d’individus. — On ne peut pas leur donner le nom d’épidémiques, puisque ceux qui ne mangent pas ces blés nouveaux en sont exempts. L’expérience de tous les lieux a prouvé que le petit peuple seul en étoit attaqué, parce que le petit peuple est forcé de se nourrir de ce qu’il trouve sous sa main, & n’est pas dans le cas d’attendre, lorsque le besoin est urgent. Ou n’a point encore assez réfléchi sur les effets de cette eau de végétation dans les fruits & dans les grains, & sur les dérangemens qu’elle occasionne. Le manihoc (consultez ce mot) en fournit un exemple en grand, puisque l’eau qu’on en retire par la pression, est un poison violent, & les fibres de cette racine, ensuite desséchées, deviennent la nourriture des habitans de l’Amérique, comme le pain l’est des habitans de l’Europe. Dans un besoin pressant, la fécule que l’on retire de la racine de Brione (consultez ce mot) donne un excellent pain, tandis que le suc de cette racine fournit un purgatif des plus violens. On pourroit rapporter cent faits semblables… Il est donc bien plus probable que les maladies sont la suite du pain fait avec du grain trop frais, qu’à la petite quantité d’ergot qui se trouve mêlée avec du seigle. Je conviens que si on nourrit des cochons, des poules, &c. uniquement avec du grain ergoté, & même niellé, ces animaux périront ; mais il faudra encore prouver qu’ils sont morts par l’effet du poison, & non pas d’inanition. Tout le monde convient que dans les grains ergotés, cariés, niellés, charbonnés, enfin dans tous les grains viciés, leur substance est non-seulement détériorée, mais détruite, & qu’il ne reste plis un atome de substance nutritive. On auroit en vain fait manger dix livres de ce prétendu pain à un chien, à un cochon, on aura lesté son estomac d’une substance corrompue, sans lui donner une seule partie nourrissante. Il n’est donc pas surprenant que l’animal périsse, & par la corrosion de l’espèce d’aliment, & par la faim. Je ne prétends pas justifier l’emploi du seigle ergoté, ni regarder son usage comme sans conséquence ; mais je dis seulement que la quantité est trop petite en comparaison de celle des bons grains, pour qu’on attribue à lui seul le dégât dont on l’accuse, & j’ajoute, les maladies sont plutôt dues à l’usage du grain nouveau. Si les circonstances fâcheuses forcent à l’employer du moment qu’il vient d’être battu, l’expérience de tous les lieux a prouvé qu’en le laissant sécher dans un four modérément chaud, & le remuant de temps à autre, il devient aussi sain, aussi salubre que celui conservé pendant une année dans un grenier bien aéré.