Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/299

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plus les montagnes sont élevées, plus elles sont abondantes. Si dans les plaines on en trouve de jaillissantes, comme près de Lille en Flandre, comme à Modène en Italie, leur origine n’est pas dans la plaine ; c’est une eau comprimée entre deux couches de terre ou de rochers, dont la supérieure s’opposoit à son issue ; mais, l’obstacle une fois vaincu, l’eau jaillit, soit à cause de la compression qu’elle éprouvoit entre les deux couches, soit par l’impulsion qu’elle recevoit du poids des eaux supérieures, renfermées dans le sein des montagnes ou autres endroits élevés : de ces exemples, je ne veux pas conclure, comme plusieurs physiciens l’ont fait jusqu’à présent, que la présence des sources que l’on trouve près des pics des montagnes, sont dues à l’effet du siphon, parce qu’elles viennent d’une montagne plus élevée. Si à une très-grande distance de ces pics on ne trouve aucune montagne plus élevée, l’explication prétendue tombe d’elle-même ; si entre ce pic & des pics plus rapprochés, coule dans un bas-fond un grand fleuve, une rivière profonde, se figurera-t-on que l’un ou l’autre ne sont pas capables de détruire l’effet du siphon ? C’est le propre de l’homme de chercher le difficile, le compliqué & même le merveilleux, pour expliquer la chose la plus simple, parce que l’homme n’étudie pas assez les loix de la nature. Un seul exemple va dévoiler toute la théorie sur l’origine des sources.

Supposons une plaine d’une très-grande étendue, & qu’au milieu de cette plaine, il y ait une très-haute montagne. Le mont Ventou, dans la plaine du comtat d’Avignon, en fournira l’exemple. Ce grand pic attire de loin les nuages : je les ai vus souvent se détourner brusquement de la ligne droite qu’ils parcouroient, pour aller toucher les sommets de cette montagne. J’ai constamment observé, & dans les différentes saisons de l’année, que si le nuage, en y arrivant, avoit, à la vue, quatre cents toises de longueur sur un diamètre proportionné, il n’en avoit pas cent cinquante lorsqu’il s’étoit roulé & qu’il sortoit de dessus ces sommets. Il y a donc eu absorption de l’eau du nuage, puisqu’après avoir franchi le mont Ventou, il étoit moins long, moins épais, moins compact ; mais comme il est rare que l’atmosphère soit sans nuage, & comme l’attraction des corps est une loi de la nature, il n’est donc pas étonnant que près de ses sommets, on rencontre, soit des sources, soit même des lacs qui y sont entretenus par les eaux des nuages. Sur le Mont-Cenis, sur les Pyrénées, ces lacs ne sont pas rares. Lasource de la rivière de Giez, part presque du sommet du mont Pila, dans le Lyonnois : ainsi, outre les eaux ordinaires des pluies, ces sommets sont encore abreuvés, presque journellement par celles des nuages qui passent, tandis que dans la plaine il ne tombe pas une goutte d’eau. Ce que je dis des grands pics, s’applique de lui-même aux pics moins élevés, aux montagnes du second ordre ; celles-ci agissent moins vivement & d’une manière moins bien prononcée ; mais elles agissent, & on s’en convaincra si l’on prend la peine d’étudier la marche des nuages. D’ailleurs, l’expérience de tous les lieux a prouvé qu’il pleut & neige beaucoup plus dans la région des montagnes que dans la plaine. Certaines plaines font exception à