Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/364

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tivée, parce que la seconde fournît une qualité de tabac des plus inférieures. Grâces soient rendues aux sages loix de notre nouvelle constitution ; le propriétaire est enfin le maître de son champ ; enfin il va lui être permis d’en disposer ainsi qu’il le juge à propos ; enfin le règne absurde des prohibitions fiscales va être anéanti. Peuples de la campagne, bénissez nos législateurs, bénissez ce roi citoyen qui s’est déclaré le chef d’une constitution qui ramène dans vos champs l’aisance qui en étoit bannie depuis si long-temps : un nouveau jour s’élève pour vous ; que ce ne soit pas celui de l’anarchie ; car on ne peut être tranquille & heureux qu’en obéissant aux loix.

On ne manquera pas d’objecter que l’amour de la nouveauté, que le génie peu réfléchi des François, les porteront à sacrifier aux récoltes du tabac celles du bled ; que le tabac effrite les terres, &c. La devise d’un sage gouvernement est celle-ci : protection & liberté. Le cultivateur connoît mieux ses intérêts particuliers que les législateurs, & sur-tout que la fiscalité ne les connoissoit. Celui qui aura fait une fausse spéculation n’y reviendra pas à deux fois ; & l’utile leçon donnée par l’expérience instruit plus radicalement que tous les livres & les beaux discours.

Cultivera-t-on avantageusement le tabac dans toute la France ? C’est le vrai point de la difficulté. Hasardons quelques idées sur ce sujet.

1°. Si la culture y devient si étendue que le produit surpasse la consommation & l’exportation, bientôt elle sera négligée & enfin abandonnée, parce que personne ne veut perdre ; mais la France arrivera-t-elle jamais à ce point ? Je ne le crois pas, parce qu’effectivement la culture des bleds souffriroit d’une si grande généralité ; si l’entrée des tabacs étrangers étoit prohibée, peut-être le prix du tabac se soutiendroit assez dans le royaume pour lui donner un bénéfice réel & au-dessus de celui du prix du bled. Dans ce cas, avec son tabac, le cultivateur achèteroit du bled, & le bénéfice seroit encore pour lui. Si au contraire le prix est égal, le cultivateur préférera le bled, parce qu’une fois récolté, il n’exige aucune main-d’œuvre, ni aucun travail préparatoire avant de le vendre. Le tabac, au contraire, une fois récolté, n’est presque rien ; ce sont les préparations pour le mettre en bâton qui doublent la valeur de sa première vente. Ces considérations détermineront donc peu à peu l’étendue de terrain qu’un propriétaire peut raisonnablement sacrifier à la nouvelle culture. Il n’aura cette certitude qu’après deux ou trois ans d’exercice ; jusqu’à cette époque, il doit, s’il est prudent, ne pas s’y livrer tout entier, & ne pas abandonner ses autres cultures. Un vieux proverbe dit : un tien, tu le tiens, vaut mieux que deux tu l’auras ; & ce proverbe est d’un grand poids en agriculture.

2°. La culture du tabac étoit ci-devant avantageuse dans les provinces de Lorraine, d’Alsace, de la Flandre Française, &c. parce que dans l’intérieur du Royaume le prix du tabac étoit fixé pour le moins au double de sa valeur, & celui de ces provinces y étoit versé en contrebande. Le bénéfice de ce genre de culture étoit assuré ; mais lorsqu’elle sera aussi libre que celle du bled, les choses doivent nécessairement pour elles,