Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

changer de face, puisqu’elles auront supporter la concurrence, & du tabac des autres provinces, & de celui de l’étranger ; en un mot, il s’établira de lui-même un équilibre général dans les prix, en raison de la quantité des productions ; je crains que cette quantité ne soit prodigieuse par cette manie française qu’inspirent la nouveauté & la liberté. On ne voit encore que l’ancien prix, tandis qu’il aura beaucoup à rabattre après les premières années.

3°. Lorsque les Français auront le choix des qualités, alors le prix variera suivant ces qualités. Il en sera d’elles comme du vin ; l’expérience apprendra à distinguer le canton où le tabac sera le meilleur ; alors le prix sera en raison de la qualité, comme il l’est pour le vin ; avec cette différence cependant, que le vin une fois fait ne peut être amélioré, tandis que la fabrication & la sauce, pour se servir du mot technique des manufactures, concourent beaucoup à donner de la valeur au tabac en bâton. La qualité de la feuille est réellement la base de la bonté ; mais la fabrication la réhausse. De ces points de fait, il résultera nécessairement que l’on préférera celui de tel canton & celui de telle ou de telle fabrique.

4°. Abstraction faite de l’amélioration due à la manière de préparer le tabac, la grande question est de savoir si tous les départemens de France fourniront des tabacs égaux en qualité. Je suis autorisé à dire, non : je pourrois citer quelques-unes de mes expériences, faites-en petit à la vérité, soit au nord, soit au centre, soit au midi du royaume. Elles m’ont complettement donné la solution du problème ; cependant comme il m’étoit impossible de travailler en grand sans courir les hasards les plus fâcheux alors pour un galant homme, je n’ose pas conclure à la rigueur. Des essais prouvent pour moi, & ne prouvent pas assez pour les autres. Considérons donc l’objet par de grandes comparaisons. Le tabac est originaire de l’Amérique & de ses isles, où la chaleur est forte & soutenue. Elles nous fournissent les tabacs si renommés & connus sous les noms de Virginie, de la Havanne, de Saint-Domingue, &c. Leur qualité tient au climat ; plus la plante s’en éloigne, plus elle perd de sa qualité. L’expérience la plus constante démontre cette détérioration dans toutes les plantes, dans tous les fruits. Le fruit de l’ananas venu dans le climat factice de nos serres chaudes, ne peut être comparé ni pour sa grosseur, ni pour sa saveur & parfum, à celui de la plante cultivée sous le ciel brûlant d’Amérique. Or, si l’art ne peut approcher des effets de la nature, la culture en grand du tabac dans nos provinces ne donnera donc pas à cette plante la qualité qui tient au climat. Les soins seuls qu’on est obligé de prendre pour les semis de sa graine, démontrent rigoureusement mon assertion. La plante est vivace en Amérique, annuelle en France, parce qu’elle ne peut supporter la rigueur du froid de nos climats, & la température de l’hiver dans nos provinces les plus méridionales, assure très-rarement son existence pour deux ans. On aura beau multiplier les soins, le tabac de France ne sera jamais aussi bon que celui de l’Amérique. Les vins de nos départemens du Nord n’auront jamais autant de principes spiritueux