Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1796, tome 9.djvu/670

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a raison dans un sens, mais il perd dans un autre ; 1°. parce qu’on abyme les branches de ses arbres ; 2°. parce qu’on leur gâte beaucoup de feuilles. Toutes celles qui sont froissées, mâchées, meurtries, déchirées, sont autant de feuilles perdues, parce que le suc s’en extravase, s’en corrompt facilement par le contact de l’air ; enfin le ver ne les mange que lorsque pressé par la faim, il ne trouve pas autre chose. Il n’y a donc point d’économie de s’en servir, puisqu’on a payé inutilement le prix de la cueillette, du transport, &c.

Les journalières ont pour habitude, & afin d’accélérer l’ouvrage, disent-elles, de tenir d’une main le sommet d’un rameau, & de couler leur autre main sur toute la longueur de haut en bas, afin de détacher les feuilles. L’opération est expéditive ; mais elles écorchent l’écorce, & attaquent le bourgeon, ou œil, que la feuille nourissoit. La raison dicte donc de cueillir la feuille de bas en haut. Ce que je vais dire paroîtra peut-être bien singulier, bien minutieux ; mais il est bon d’exercer la critique. Je soutiens qu’une femme commodément placée sur son échelle, avancera autant qu’une autre ouvrière, en se servant de ciseaux, & en coupant chaque feuille l’une après l’autre. Il est vrai qu’à la fin de la journée elle aura plus souvent remué la main, mais elle aura moins eu d’agitation & moins de peine. (Il ne s’agit pas ici des mûriers à branches chiffonnes, ni de ceux à feuilles étroites, menues, en bouquets). Il résulte deux avantages de l’opération du ciseau ; 1°. le travail va presque aussi vite, & la journalière coupe les feuilles dans la circonférence où sa main peut s’étendre ; 2°. le pétiole ou bout de la queue, qui reste attaché à l’arbre, est au bourgeon qui doit repousser, ce que le bout de pétiole est aux greffes que l’on fait au mois d’août. Si on le supprime, la greffe périt. D’après cette idée si simple & si conforme au but de la nature, je fis l’expérience dont je viens de donner le résultat. La comparaison des dépenses en journées, suivant les deux méthodes, fut, je l’avoue, en faveur de la première, de bien peu de chose ; mais mes arbres s’en portèrent beaucoup mieux ; & toutes circonstances égales, ils feuillèrent beaucoup plutôt que les autres ; enfin la belle verdure de leurs feuilles m’annonça bientôt l’utilité de l’opération.

On ne manquera pas de m’objecter qu’il n’est pas possible qu’une femme tenant des ciseaux d’une main, ne soit pas excédée de fatigues, lorsqu’il faudra avec l’autre prendre chaque feuille à part, pour la mettre dans le tablier attaché devant elle, en manière de sac, ou même dans un sac suspendu à l’une des branches ou à l’échelle. C’est précisément ce que je désire que l’on évite, comme une coutume établie contre tout principe raisonnable. 1°. La chaleur que le corps communique aux feuilles contenues dans la vaste ceinture de l’ouvrière, accélère sa fermentation. 2°. La feuille est un peu moins froissée dans le tablier que dans le sac, où on la presse & la serre afin qu’il y en entre davantage. Or l’expérience de tous les jours, de tous les temps, n’apprend-elle pas que plus la feuille de mûrier est pressée, plus elle fermente, & plus promptement et s’échauffe & se gâte ? La même