Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/123

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tans et un revenu public net de deux milliards ne rempliroient peut-être pas encore la mesure des avantages dont elle jouiroit aujourd’hui ; car lorsqu’on sait calculer les données de la nature et la force des vrais principes, on voit évidemment les germes d’une pareille grandeur dans le sein de ce puissant État. En ce moment même et sur le pied de sa population actuelle, la France considérée dans une parfaite égalité avec l’Angleterre, devroit avoir un revenu public net de près d’un milliard et demi, l’Angleterre jouissant de ce revenu dans la proportion de sa population. Ce que l’Angleterre a fait avec des avantages naturels inférieurs, la France bien gouvernée l’eût opéré sans doute avec des avantages naturels supérieurs, avec le sol le plus riche et le peuple le plus industrieux. Puisse cette remarque n’être pas perdue pour ceux qui la gouvernent aujourd’hui ! Puisse l’homme d’état qui compte l’agriculture au nombre de ses attributions ministérielles, la voir sans cesse au rang qu’elle doit occuper ! L’agriculture, les arts, le commerce, voilà l’ordre dans lequel se classent naturellement les diverses branches de notre richesse publique. Leurs rapports sont tellement immédiats, leurs succès réciproques sont tellement dépendans du parfait équilibre qui doit régner entre eux, que tous les efforts de celui qui les dirige seroient infructueux s’ils ne tendoient incessamment à le créer s’il n’existe pas, ou à le maintenir s’il existe déjà. Toutefois il est hors de doute que l’impulsion première ne peut être donnée à l’ensemble que par l’agriculture, parce qu’elle en est le principe actif. Nous ajouterons encore un souhait à ceux que nous avons déjà formés : puisse l’amovibilité des places parmi nous, et sur-tout des places éminentes, n’être pas un obstacle aux heureux effets des grandes conceptions administratives !

Bernard Palissi avoit dit avant nous : « Il faut qu’un chascun mette peine d’entendre son art, et pourquoy il est requis que les laboureurs ayent quelque philosophie[1] : ou autrement ils font qu’auorter la terre et meurtrir les arbres. Les abus qu’ils commettent tous les iours ès arbres, me contraignent en parler icy d’affection ». L’instruction est nécessaire sans doute dans tous les genres de culture ; mais surtout dans celui qui a la vigne pour objet. La vigne n’est point une plante indigène de nos climats. Les divers effets de sa transmigration sont même tellement remarquables qu’en la considérant dans les différentes régions où sa culture est admise, on pourroit dire qu’elle est tantôt un arbre, tantôt un arbrisseau et quelquefois seu-

  1. Ici le mot philosophie équivaut à celui instruction. Au tems où écrivoit Bernard Palissi, on disoit un philosophe pour désigner un homme instruit. Voyez l’ouvrage déjà cité.