Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/122

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avoit porté en très-peu d’années son revenu annuel de 4,500 à 20,000 f. L’auteur de l’Arithmétique politique fait mention d’un autre cultivateur qui par les mêmes moyens et dans un moindre espace de tems encore, avoit octuplé sa rente territoriale. La France ne nous fournit aucun exemple de ce genre à citer ; et l’on ne s’en étonne pas, quand on réfléchit que parmi nous les grands capitaux ont toujours été absorbés, soit par les spéculations financières, soit par l’agiotage, que les entreprises rurales ont été exclusivement abandonnées aux vains efforts de la classe la moins instruite et la plus pauvre de la nation, que le gouvernement n’a presque jamais rien fait de ce qu’il auroit pû, de ce qu’il auroit dû faire pour les vivifier et les seconder par les puissans effets d’une protection immédiate. Si quelquefois il sembla s’en occuper, ce ne fut que pour les étouffer sous une masse de lois prohibitives ou fiscales. Il est vrai, Sully pendant son ministère, donna une grande impulsion à l’agriculture française ; mais cet élan fut bientôt arrêté par l’obstacle irrésistible que lui opposa le système des parlemens. Colbert, homme d’état sous tant de rapports, fut souvent obligé de sacrifier à l’ignorance et au préjugé, les grands principes de l’économie politique. Il lui fallut pour se conformer à l’esprit du tems, ne voir la source des richesses nationales que dans les manufactures ; tous ses soins, toutes ses sollicitudes semblèrent ne se porter que vers les moyens d’approvisionner au plus bas prix possible les ouvriers qu’on y emploie.

Le cultivateur fut aussi-tôt privé de la faculté d’exporter le superflu de sa subsistance, non-seulement au-dehors de la France, mais même d’une province à l’autre. Cette mesure impolitique amena une baisse nécessaire dans le prix des denrées, et chaque entrepreneur agricole chercha à proportionner le superflu de sa subsistance au petit nombre de consommateurs qu’il lui étoit permis d’approvisionner. Mais la chance des saisons ne répond pas toujours aux calculs des hommes : ce superflu se trouva bientôt soit au-dessus, soit au-dessous des besoins des manufacturiers ; de-là un cours très-irrégulier dans le produit des récoltes et dans le prix des denrées, les deux plus grands fléaux que puissent éprouver les manufactures et l’agriculture d’une nation. Un gouvernement peut bien contrarier, mais il n’est pas en son pouvoir d’anéantir l’intérêt naturel des hommes. Si les ministres qui ont dirigé la France, écrivoit, il y a dix ans, un observateur profond[1], eussent adhéré aux grands principes, il est difficile de dire où la prospérité de cet empire se seroit arrêtée. Une population de quarante millions d’habi-

  1. Herrenschwand, de l’Économie politique. Discours fondamental sur la population.