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On en vint à mettre tant d’empressement à offrir, d’une part, la preuve de cette abstinence : et, de l’autre, à l’acquérir, que les membres des familles se multiplioient en raison des moyens de se plaire mutuellement, et que bientôt il ne fallut plus, pour se prétendre parent, que se trouver aimable. Le reproche est au nombre de ceux dont Properce se crut en droit d’accabler son infidèle Cinthie[1].

Les mêmes abus avoient provoqué la même peine dans la république Marseilloise ; mais là, comme chez les romains, son extrême sévérité fut un obstacle à son application. On ne tarda pas à fixer, à l’âge de trente ans pour l’un et l’autre sexe, le droit de boire du vin. Bientôt on s’aperçut que c’étoit trop restreindre encore la consommation d’une denrée précieuse, mais devenue si commune que son abondance même étoit un mal : il fallut abandonner à chacun le droit d’en user à son gré.

Cependant la culture de la vigne s’étendoit progressivement dans les Gaules. Elle occupoit déjà une partie des coteaux de nos départemens du Var, des Douches du Rhône, de l’Hérault et de Vancluse, du Gard et des Hautes et Basses-Alpes, de la Drome, de l’Isère et de la Lozère, quand Domitien, soit par ignorance, soit par foiblesse, comme le dit Montesquieu, ordonna, à la suite d’une année où la récolte des vignes avoit été aussi abondante que celle des blés chétive et misérable, d’arracher impitoyablement toutes les vignes qui croissoient dans les Gaules : comme s’il y avoit quelque chose de commun entre la manière d’être et de croître de ces deux familles de végétaux ! comme si les produits de l’une pouvoient jamais être un obstacle à la récolte de l’autre ! comme si enfin, les terres à vignes n’étoient pas alors, comme aujourd’hui, au moins dans le sol qu’habitaient les Gaulois[2], des terres entièrement impropres à la reproduction des céréales !

Quoi qu’il en soit, nos pères, par cet édit désastreux, se virent condamnés à ne se désaltérer désormais qu’avec de la bière, de l’hydromel ou quelques tristes infusions de plantes acerbes. Cette privation qui remonte à l’année 92 de l’ère ancienne, s’étendit à deux siècles entiers. Ce fut le sage et vaillant Probus qui, après avoir donné la paix à l’empire par ses nombreuses victoires, rendit aux Gaulois la liberté de replanter la vigne. Le souvenir de sa culture et des avantages qu’elle avoit produits ne s’étoit point encore effacé de leur mémoire ; la tradition avoit même conservé parmi eux les détails les plus essentiels de l’art du vigneron. Les plants apportés de nouveau, par la voie du

  1. Quin etiam falsos fingis tibi sæpe propinquos,
    Oscula ne desint qui tibi jure ferant.

  2. Voyez ci-après le § où l’on traite du sol et du climat propres à la vigne.