Page:Rozier - Cours d’agriculture, 1800, tome 10.djvu/133

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lité des vins qu’ils donnent, diffère peu de celle des crûs de Normandie. Enfin, il n’est pas jusqu’au petit pays de Thérouenne, de quelques degrés plus septentrional qu’Amiens, qui n’ait eu son vignoble ; puisque dans une charte du septième siècle, par laquelle Clotaire III autorise les moines de Saint-Bertin à faire quelques échanges, on remarque que les vignes font partie de l’un des lots. On a cru devoir entrer dans quelques détails sur ce fait historique de la végétation, pour dissiper les doutes que la vraisemblance pouvoit autoriser. Il est certain que la vigne végète, mais ne peut produire du vin, même passable, sur la longue côte maritime qui s’étend depuis Calais jusqu’à Nantes. Les cultivateurs de cette grande contrée auroient donné une preuve non équivoque de sagacité, s’ils s’étoient bornés, pour leur boisson, à la nature des bons arbres à cidre, qui leur réussit si bien. Que n’imitoient-ils leurs voisins de la Belgique ? Ceux-ci, constamment dirigés dans leurs entreprises agricoles par un bon esprit et un raisonnement sain, s’en sont tenus à leur antique culture de l’orge et du houblon. En effet, le bon cidre et la bonne bière valent mieux que le vin d’Argence.

Autant ces dernières entreprises vignicoles ont été déplorables, autant furent heureux les essais du même genre qu’on en fit par-tout ailleurs. Car il n’est aucune de nos provinces placées soit à l’orient, soit au midi, soit au centre de la France[1], qui n’ait présenté des sites, des territoires entiers, favorables à la culture de la vigne ; il n’en est aucune qui ne renferme quelques crûs recommandables, et dont les produits en eau-de-vie ou en vin n’aient acquis quelque renom. Il est vrai que, parmi ces réputations, il en est qui n’ont eu qu’un temps, que quelques-unes ont même été bornées à une durée éphémère, parce qu’une seule circonstance suffit pour les détruire et les faire oublier. Un changement de propriétaire est suivi communément d’une nouvelle méthode de culture ; cette culture moins bien surveillée, quelque négligence dans l’entretien ou le renouvellement des cépages les mieux appropriés au sol et au climat, quelques soins de moins ou quelque attention omise dans la fabrication des vins, c’en est assez pour discréditer peut-être à jamais les récoltes d’un vignoble. S’il arrive, comme les exemples n’en sont que trop fréquens aujourd’hui, sur-tout dans le voisinage des grandes villes, où la consommation est immense et par conséquent le débit assuré, que le propriétaire sacrifie le système de la qualité à celui de l’abondance, il n’est pas douteux que son crû ne jouira plus désormais de la renommée que lui avoit acquise une toute

  1. Il faut peut-être en excepter la Marche (le département de la Creuse). « C’est une remarque curieuse, dit Labergerie, qu’à partir de la ligne de Paris, vers le midi, il y ait des vignes dans tous les départemens, sinon dans celui de la Creuse, qui est entouré de tous côtés par des vignobles ». Traité d’Agriculture Pratique, ou Annuaire des Cultivateurs du département de la Creuse, etc.